Je zigzaguais entre les tables aux napes en papier recouvertes de verre. La lumière tamisée beige invitait aux discussions discrètes et, sur mon passage, les dames au brushing gris levaient la tête, mi-curieuses, mi- médisantes. Je n’étais pas un visage habituel. Connaisseuse des rythmes de ma mère, je passais la saluer alors qu’elle déjeunait avec son groupe des copines de l’héroïque messe de 7h du matin. Ma maman fréquente, tous les matins, depuis 20 ans le même tea-room.
Tous les tea-rooms semblent être nés au même moment ; entre « crise des missiles de Cuba » et Elvis Presley. Ils sont pourtant plus anciens et liés à l’histoire de l’importation du thé des colonies anglaises. Il est tout à fait vrai, cependant, qu’ils sont des lieux purement féminins. J’aime passer l’enseigne à l’écriture surannée, toute en doré et brun et me retrouver dans l’antichambre de la chambre de thé, reconvertie en pâtisserie-boulangerie. Les étalages sont autant de présentoirs- frigidaires en verre bombé, illuminés de l’intérieur, aux étagères de vitre transparente. On sent que le temps a passé, ils sont parfois trop grands pour le choix, et certains y mettent les berlingots de thé et jus d’orange (dans un petit angle). J’y surprendrai aussi des décorations en fruits et fleurs de plastique. La distinction dans les vitrines est internationalement acceptée : d’un côté les pâtisseries sèches que l’on mettra en cornets de papier, de l’autre les pâtisseries humides que la vendeuse au petit tablier mettra d’un geste entendu dans un petit carton construit pour l’occasion. Mais si je suis une cliente de l’endroit, on me servira sur assiette et je franchirai le pas de la pièce attenante. L’atmosphère est souvent feutrée, tous les tea-rooms étant équipés, soit de moquette, soit de grands rideaux ou encore, peut-être, de papiers peints. Le coin des tables et des chaises molletonnées est patiné d’usure, les miroirs sont omniprésents et la poignée en laiton des toilettes a perdu sa patine. Mais la distinction homme-femme sur les portes laisse entendre toute une histoire de jeunes femmes qui se poudraient et de jeunes hommes qui les accompagnaient. Dans ce paradis de la crème chantilly, on sert surtout des boissons chaudes : des cafés et leurs variations, des thés servis pour nous les suisses dans des tasses en verre (mais partout ailleurs dans de jolies théières) et peut-être un peu d’alcool (dans les babas-au-rhum).
Ces lieux disparaissent aussi rapidement qu’ils sont apparus comme les dames aux robes à fleur qui les occupaient depuis leur jeunesse. On ne prend plus le temps de s’asseoir, les rythmes ont changé et les boissons chaudes se prennent dans des gobelets en carton. Mais il est temps de prendre le temps et je l’affirme : Starbucks (chaine de cafés à l’emporter) n’est pas le tea-room moderne.