J’ai vu les taches apparaitre sur la toile de fond de la nature. Des petites taches jaunes, comme autant de petits moustiques écrasés sur la terre encore trop brune d’un printemps balbutiant. Il me semble, d’ailleurs, que le printemps a été si long à venir, cette année, que j’ai humé l’air et scruté l’horizon à la recherche de ce petit signal. Elles sont arrivées et se sont puissamment multipliées pour devenir les rubans qui encadraient les champs de mon regard. La nature s’est ouverte et les bandes se sont approchées jusqu’à ne plus me permettre d’éviter l’émotion profonde d’une nature capable de fournir un tel jaune. Aucune couleur, en effet, n’est plus puissante qu’un jaune de colza sur un ciel d’orage.
Je ne m’étais jamais rendue compte que la parole colza rappelle, par sa sonorité, le mot colrave. Il appartient à la même immense famille botanique des brassicacées qui embrasse les choux, les navets, la moutarde et le cresson. Il faut cependant entrer dans le tableau, émerveillé, et s’approcher des champs pour le regarder de près. Une fois la difficulté de l’odeur (profondément musquée et fromagée) passée, l’effet d’optique est frappant. La dominance jaune des boutons se fait humble pour laisser place à la vraie puissance des immenses tiges désarticulées et maigrichonnes. Un champ de colza est un champ vert, soupoudré de jaune. Je ne suis pas botaniste mais je vois l’air de famille dans ses feuilles grasses d’un vert bleuté. On dit que cette plante est un hybride naturel. La nature a simplement croisé, (on pense au Moyen-Age) un chou et une navette (plante fourragère grasse). Ainsi est née la plante qui nourrit de bonne huile toute l’Europe (et désormais la terre, l’huile de colza est la troisième huile naturelle produite au monde). Dans ses tiges, une fois les fleurs fanées, se cachent de minuscules graines noires faciles à broyer.
On l’exploite facilement et les bios comme les multinationales s’arrachent sa dominance. D’une part il est facile à planter en grandes étendues : grands champs portent à grande production, grand contrôle, et, malheureusement, grandes quantités de pesticides. Il est même devenu source importante de bio-carburant tant sa culture est facile. Mais d’autre part, dans les petits et moyens jardins, il est une plante fascinante, capable par sa racine en hélice d’aérer le sol, capable d’y remettre l’azote perdu. Enfin bien sûr, il est aimé par les abeilles et il est à la source d’un des rares miels vraiment « monofloraux» de la terre, sous son appellation cachée de « miel de printemps.
Si les abeilles l’aiment tant, il est impossible de ne pas entrer, nous aussi, dans la contemplation de ce cadeau. Il est grâce de la terre, mais aussi, un peu grâce du ciel. En effet y a-t-il une seule plante aussi capable de faire ressortir la beauté d’un ciel comme le colza ?