Quand nous avions rénové la maison, les corps de métiers s’étaient arrêtés dans ma buanderie du 19ème siècle. Elle était sombre et humide. Dans l’angle, le grand bassin de pierre rappelait tant de gestes usés de frottement par des mains bien plus expertes que les miennes. L’humidité du temps avait craquelé la peinture et la colonne de lavages semblait l’unique signe d’une modernité approximative. J’avais demandé la lumière, le chauffage, et internet. « Elle veut aussi un lit votre p’tite dame ? » avaient-ils dit à mon mari, sournoisement. Chose à laquelle il avait répondu « si vous saviez combien de temps elle passe ici, vous l’installeriez vraiment ce lit !».
Les coupes financières prévisibles des travaux ont touché la buanderie en priorité et je le comprenais. J’entrepris alors de peindre le sol de peinture pour piscine, de rendre les murs blancs et les tuyaux de couleur. Je décorai les murs d’armoires Ikea pour y trier draps et housses. L’endroit était merveilleux ; très « à moi ». J’avais voulu un panier par enfant, avec sa photo (pour ceux qui ne savaient pas lire) afin qu’ils puissent monter leur propre linge. J’avais imaginé des paniers pour le tri et je les avais peints moi-même pour enseigner aux enfants le tri du linge. Je regardai mon travail accompli et je vis que cela était presque bon. Ce qu’il manquait à cette buanderie était une petite image pieuse. Je demandai alors à mon amie américaine de passage si elle n’avait pas une petite image de la Vierge « en trop ». « Mais oui ! Douve ! On a l’image que les jeunes de la pastorale ne veulent pas ! » Elle était enthousiaste.
Le lendemain fut livré par poste un paquet d’un mètre et demi sur 80 cm. Je rencontrai alors pour la première fois l’amie de ma buanderie, une Vierge de Guadalupe (en fausse mosaïque, sur toile) à l’œil semi-clos et au rendu un peu triste. Mais elle était grande comme moi et allait me faire compagnie. Quelqu’un l’avait voulue pour moi, et ne pouvais dire non -pour cause de laideur ou de taille-. Ce jour-là un ami Carme en visite, descendit dans ma buanderie et bénit l’image. Il proposa ensuite de nous confesser, là où la Vierge venait de prendre place. C’est, depuis, chose normale ; quand un ami prêtre vient manger, on l’invite à la buanderie, là où âmes et slips se lavent ensemble.
Depuis, certains choses se sont déglingués. Les enfants prennent les mauvais paniers, le tri à laissé place à des tas sur le sol, les chaussettes esseulées trainent comme des chiens sans maitre et, l’hiver, l’eau gèle dans le bassin de pierre. Mon amie, Elle, trône dans un petit rayon de lumière. A demi-souriante, la tête penchée, elle observe et me comprends. Elle a, Elle aussi, plié du linge dans des lieux froids et inhospitaliers. Si je n’ai pas mis mon lit à cet endroit, j’y ai certainement mis mon cœur.