Revenir de vacances c’est être entre deux mondes: celui du retour au réel, abrupt, et celui du souvenir, mélancolique. Comme une montgolfière qui ne veut pas se poser, j’arpente les couloirs de la Migros à la recherche des goûts de mon altitude estivale.
J’étais au Mexique et ses saveurs me manquent. Il existe bien un coin «mexicain» dans les supermarchés, impossible à éviter: bariolé comme un vomi de couleurs estivales à côté des discrets emballages de sushi japonais, il promet un moment heureux sous la forme de tacos, nachos et autres termes exotiques. Dans l’allée numéro 8 du magasin, je m’effondre. Comment peut-on avoir transformé la seule cuisine jamais promue par l’UNESCO au «patrimoine mondial de l’humanité» à un sachet de poudre lyophilisée que l’on rajoute à la viande? J’aimerais retrouver le goût du vrai taco de la rue qui nous fait oublier tous les principes sanitaires. C’est une galette tendre de maïs amer, au goût profond de gras de viande épicée sur un croquant frais de légumes acides. Un vrai taco n’est jamais plus de 20 cm de diamètre, il est peu chargé et facilement roulé. Je quitte alors les autoroutes du préfabriqué pour me lancer dans les sentiers aventureux du «fait maison». Oui, il est possible de cuisiner mexicain en Suisse! Mais comme chaque sentier à sa carte, il faut savoir lire les indications de la géographie culinaire mexicaine. Les plantes le long du chemin changent, et comme l’Italie a le basilic, le Mexique a la coriandre. Si le sud de notre Europe a les «herbes provençales» qui rendent joyeux tout plat à base de tomates, les Mexicains ont le cumin, l’origan et le chili. En outre, ce sont surtout les piments qui habitent les voies de cette cuisine particulière. Un piment n’est pas que du piquant comme je le pensais. Il offre un goût toujours différent selon qu’il s’appelle jalapeño, serrano, habanero, chipotle ou poblano. Enfin, puisque tous les chemins sont construits de la même manière là-bas comme ici, on commence un plat en faisant rissoler quelques oignons hachés. Oignons, épices et viande grasse longtemps cuite, voilà le secret d’un incroyable taco. Je mijote la viande des heures et des heures, je hache les oignons et les mélange avec de la tomate et du citron vert, créant le pico de gallo (une salade fraîche de tomates, oignons, citron vert, piment cru et coriandre).
J’ai invité des amis pour partager avec eux ces retrouvailles. Sur la nappe, le repas semble pauvre: dans la rue il était facile de se contenter de quelques galettes, ici cela semble bien peu. Je mets dans la bouche le taco. Le goût de la mémoire explose dans ma bouche et les larmes quittent mes yeux, comme le cadeau de la reconnaissance. J’ai retrouvé mes souvenirs. La nourriture a ce pouvoir si on ose quitter le chemin des sachets lyophilisés.