L’été semble ne jamais devoir prendre fin. Comme un éternel soleil tiède au beau milieu des feuilles vaguement orangées, mon corps est avide de froid, d’écharpes et de balades brumeuses. J’attends l’automne chaque année et quand une goutte pend à mon nez et que le ciel disparaît sous une couche de stratus, je me demande pourquoi je l’ai tant désiré.
Mais cette année, le monde semble avoir soif et le cycle est suspendu dans un éternel automne indien (phénomène de redoux au creux de l’hiver). S’il existe un lieu pour méditer sur la chaleur, c’est bien le pays des lacs et des palmiers. Ici cohabitent montagnes escarpées recouvertes de lichen, ciel immense et cactus de bord de l’eau. Le Tessin n’en finit pas de m’émouvoir. Le flot de mes enfants et neveux quitte le hameau de pierres apparentes aux toits de granit, longe l’église au clocher chantant et se rend vers les arbres. Le sac en plastique d’un enfant aux jambes trop courtes traîne sur le sol. Oublié par ses frères et cousins, il me donne la main et retient des larmes d’humiliation. Plus loin j’entends cris de victoire et joie contagieuse: ils ont commencé le ramassage. Le Tessin est terre fertile pour les châtaigniers et on me dit que c’est une «très bonne année». J’arrive dans le sous-bois sans odeur d’humus. Le tapis est un mélange d’herbe, de terre, de feuilles mortes, de brindilles et de pierres. Les enfants courent partout et les sacs se gonflent sous l’impact des mouvements confus. Pour ramasser les châtaignes, il faut le talent du cueilleur de champignons et les chaussures du montagnard. Je vois mes neveux montrer à mes enfants les oursins cachés sous les feuilles. Et comme si le monde changeait de forme, je remarque finalement que le sol est jonché de boules piquantes beige clair. Je marche sur des châtaignes depuis dix minutes! Il est décidément impossible de confondre les marrons du marronnier et les châtaignes du châtaigner. La coque du marron, aux aiguillons pointus, s’ouvre comme une bouche pour laisser apparaître sa langue brune; la châtaigne est plus compacte et claire, l’oursin plus léger est ses piques plus longues. Mes neveux posent leurs pieds sur les fruits à piques pour en extraire la promesse du centre et glissent les trésors recueillis dans leurs grands sacs en plastique. Ils indiquent à mes petits dilettantes comment reconnaître une noix mangée par les vers, une noix trop légère qui sera triste à éplucher. Les enfants courent les uns vers les autres et comparent leurs prises au poids des sacs.
Je peux hésiter sur la distance de la terre au soleil, je peux douter de la présence météorologique de l’automne. Mais si on juge un arbre à ses fruits, on juge une saison à sa cueillette. L’automne est saison de cueillette sauvage: champignons, mûres, châtaignes. Les sacs pleins et les sourires heureux sont cueillette automnale préfigurant Noël.