Le soleil éblouit le cow-boy qui cligne des yeux. Il descend de cheval et entre dans le saloon. Avançant vers le bar, ses bottes chantent sur le plancher. Il lui suffit d’un signe pour que le barman lui sorte un verre et le remplisse d’un liquide transparent, toujours le même. Au pays des cowboys il n’y a pas de demi-mesures et, dans les grands déserts des westerns, ce liquide ne peut être que du mezcal.
Enfant de l’héritage ancien qui se nourrissait des cactus du désert, mais aussi de la transformation coloniale, car ce sont les Espagnols qui ont amené la distillation au Mexique, il est surtout fruit de l’agave, une plante remarquable. A la regarder de près on pourrait croire à une erreur de la nature. Petites ou immenses, raides ou ondulantes, les agaves décorent les paysages infinis comme autant de porcs-épics disséminés en marche vers des destinations inconnues. Leurs longues tiges fibreuses et gorgées d’eau (elles sont des succulentes) résistent à de grandes périodes de sécheresse. Au sommet de chaque tige, une longue griffe effraie décorativement les prédateurs désireux de s’hydrater. On n’approche cette plante qu’à coups de machette. Il faut sept ans pour qu’elle devienne un adulte de plus de deux mètres. En son cœur une piña, un immense ananas, trésor caché de la culture mexicaine. Cette partie, qui peut peser jusqu’à 250 kilos, se modifie sous l’effet de la chaleur: de fibreuse et immangeable, elle devient douce, farineuse et mouillée. Cette pulpe fermentée est la base du mezcal et de sa petite sœur, la tequila. Dans les champs arides on voit les jimadors de père en fils, un chapeau de paille sur la tête et une veste de denim sur le dos, affronter les plants comme des héros de westerns. Ils abordent les agaves avec leur coa (pelle plate et aiguisée à bout rond) pour en révéler le cœur fertile. A coups de pieds et à l’aide de leurs bras, ils enterrent les piñas dans de larges puits de pierre, les recouvrent de charbon ardent, de bois du désert (mesquite) et de terre. Là les cœurs reposent, fument et cuisent pendant une semaine. Calcinés et tendres, ils sont ensuite écrasés; on les laisse reposer, et par la grâce de la fermentation, l’alcool arrive et se propage. S’il y a plus de 120 espèces d’agaves, seule l’agave bleue tequilera produit le mezcal. Elle est cultivée dans très peu d’Etats dont celui d’Oaxaca. Sa tige est utilisée pour la fabrication du fameux sisal, une corde naturelle originaire du Mexique. Au fond de la bouteille repose un petit scorpion, signe du mezcal Maguey (agave pur).
On me dit qu’il faut mettre en bouche, attendre cinq secondes et avaler en expirant. Je sentirai alors l’arôme fumé caractéristique. Je larmoie fortement sous le choc mais il est bien là, fumé, le goût du désert et du soleil, des cow-boys courageux et de l’agave violent: le goût des westerns.