Quand je vois les jardiniers de la ville s’affairer dans les hauteurs et transformer les platanes des boulevards en humanoïdes à moignons, je sais que le moment que je redoute est arrivé. Dans la grande danse de la fin de l’hiver, le peuple des jardiniers, mû par un désir unique, a sorti échelles et sécateurs: c’est l’heure de la taille.
Pourquoi taille-on les arbres? Après tout, les forêts du monde entier et les arbres qui décorent les montagnes sont naturellement majestueux! L’arbre domestiqué, lui, doit être coupé, dominé, redressé, corrigé. On le fait pour en contrôler la grandeur, synonyme de danger. On le fait pour stopper maladies et parasites, qui s’installent plus facilement sur des arbres non taillés. Enfin on le fait parce qu’une taille bien faite permet à un arbre fruitier de donner plus de fruits. Ainsi les arbres, comme les moutons, subissent un rasage de près alors que les bourgeons arrivent. Les pommiers de mon verger
doivent eux aussi passer à la caisse. Je m’équipe comme pour le Paris-Dakar: pantalon de protection, gants, lunettes en plastique. Munie d’un sécateur, d’une petite scie (la queue de rat, par sa forme caractéristique) et d’une échelle qui me fait tituber, je m’approche du petit arbre qui me semble un géant. «C’est moi contre toi», pensai-je volontaire. Poser mon échelle correctement est toute une histoire: le terrain est accidenté, l’échelle bouge quand je grimpe et rien ne me rassure. Je dois procéder à une taille légère, car mon arbre a été mal taillé par des années d’inexpérience.
Le réflexe qui consiste à tailler tout ce qui dépasse («déjà que je suis là, autant que j’enlève tout») est profondément erroné, car un arbre trop taillé se rebellera et fera pousser des branches dans tous les sens. Tailler trop peu est aussi faux et ne sert à rien. Il faut tailler juste: enlever les branches qui reviennent en arrière, élaguer cel
les qui déforment l’arbre et couper là où les bourgeons partent dans une direction logique (ils doivent faire une jolie flèche vers l’extérieur de l’arbre). Afin d’accomplir ma tâche, je dois grimper sur l’échelle, cligner des yeux dans le soleil aveuglant, ne pas faire tomber le sécateur du haut de l’arbre et scier sans vaciller des branches résistantes désireuses – en toute logique – de grandir. Je dois résister à l’envie de me hisser sur la pointe des pieds pour tailler la petite branche éloignée, couper de manière franche pour ne pas blesser l’arbre, monter et descendre pour être sûre de voir l’ensemble en tout temps. Les paroles du poète fribourgeois Fréderic Wandelère me reviennent à l’esprit: «Comme je suis sur mon arbre perché/Le sécateur à la main, la petite/Vieille s’arrête, m’observe dans l’air/Attention la Mort guette à tous les coins!/J’ai cru qu’Elle était près de moi sur une Branche/ou qu’Elle m’attendait sous l’échelle».
Article publié dans l‘Echo Magazine