cet article est pour toi qui me regardais de l’autre côté de la table, toujours si droite et si parfaite, tu gagnes encore tous les smarties.
Elle me regardait et soulevait un sourcil avec désaccord. Un seul regard suffisait et je savais que je m’étais mal comportée. Pour imprimer les bonnes manières dans ma tête de cancre, ma maman alignait dix Smarties sur le côté de son assiette. Une erreur et un Smarties m’était enlevé. Il n’en restait souvent aucun à la fin du repas. C’est peut-être parce que je n’ai jamais aimé le chocolat. Ou peut être les bonnes manières n’ont-elles jamais eu d’emprise sur moi?
On parle de savoir-vivre pour décrire ces règles plus ou moins formelles que l’on utilise afin d’être parfaitement poli et donc agréable aux autres. Dans mon époque la plus rebelle, je fronçais le nez, pensant qu’elles allaient me faire disparaître derrière des automatismes impersonnels. Les manuels de savoir-vivre sont fascinants; ils décrivent les codes du vivre-ensemble dans tous les lieux de vie: comment se comporter au travail, à un mariage, face à des inconnus, dans un ascenseur, et dernièrement dans le rapport aux nouvelles technologies. Les plus communément utilisées sont celles qui regardent la table, que j’aime particulièrement lister à mes enfants. Comment tenir ses services, manger sans faire de bruit, se tenir droit et amener la nourriture à sa bouche: règles banales partagées par tous.
Mais la politesse se corse. A table on ne commence à manger que lorsque la maîtresse de maison est assise, on écoute en sachant se faire discret et on ne monopolise pas la conversation. Je pense aux repas familiaux avec mes huit enfants heureux de se revoir et je sais déjà que, pour nous, ces étapes seront de longues batailles. Enfin, on ne mange pas trop vite (et pas trop lentement). J’avoue aimer certaines règles plus vieillottes, comme celle qui prévoit qu’une femme ne se serve jamais seule de vin, laissant aux hommes – ou aux fils – la responsabilité de ce geste.
Pourtant, c’est justement ces dernières qui donnent un petit goût de poussière au savoir-vivre. Associé à une certaine forme de noblesse et de misogynie, le savoir-vivre est souvent mal interprété. S’il est vrai que certaines règles semblent dépassées (comme celle qui me faisait manger les fruits avec couteau et fourchette), d’autres montrent que chaque règle naît du simple bon sens humain. Les verres sont ainsi posés de façon à ce que le verre le plus proche soit celui de l’eau, pour aider les gens à ne pas boire trop de vin. Le grand philosophe Bergson avait distingué trois formes de politesse: la politesse des manières, la politesse de l’esprit et enfin la politesse du cœur. Alors que je pique avec mes doigts dans les plats, prise par trop de spontanéité, je me rappelle que s’il ne vise pas à mettre en valeur l’humanité d’une rencontre, le savoir-vivre n’a aucun sens.
Plus d’infos sur la chaine YouTube apprendre-les-bonnes-manières. La dame aime bien la Duchesse de Cambridge. Mais qui peut le lui reprocher?
Article publié dans l’Echo Magazine