Dans la frénésie de la dernière heure du samedi, j’accélérais mes pas sur l’escalator trop tranquille, mon esprit concentré. Je devais entrer dans la Migros, ne croiser aucune connaissance, me focaliser sur mon achat microscopique (un sachet de levure) et ressortir sans avoir discuté avec la souriante caissière. Mais je me suis brutalement arrêtée devant l’étalage de l’entrée. C’était un présentoir inoffensif de tristes plantes emballées dans du plastique, morne comme un chien assis qui attend son maitre. Les cônes de plastique translucide pointaient vers le haut, aspirant l’air vicié du magasin alors que je m’approchais le cœur battant. J’étais redevenue enfant, devant le présentoir des poupées Corolle, essayant de deviner à travers les reflets de la cellulose la forme qui se profilait à l’intérieur. J’avais reconnu une plante moulte fois cherchée. Je l’avais décrite à des vendeurs abasourdis dans de très chics magasins de plantes. L’étiquette Migros disait simplement Ficus lyrata, 17.50 CHF.
Je la pris sous mon bras, inconsciente de la salissure de ma robe -choisie pour un samedi soir festif- et je partageais mon achat avec la caissière. J’avais déniché la « it » plante des blogueuses de design d’intérieur et de la décennie, présente sur tous les sites branchés. Au bord de l’évier de cuisine, j’avais invité mes enfants à déchirer le film transparent pour partager mon enthousiasme. J’ai alors compris l’engouement planétaire. Les anglo-Saxons l’ont baptisée figuier aux feuilles de violon. Les pétales vertes et immenses se sont en effet dépliés pour montrer leur disproportion au nom éponyme. Le figuier lyrata est tout dans ses feuilles, qui s’écartent symétriques de lisse boursouflure. Il grandit rapidement (plus d’un mètre par année) sous la forme d’un arbre à long tronc ou d’un joli buisson qui prend beaucoup de place. Pour ma part, il était désormais LUI, nouveau locataire de ma maison, fascinant et nouveau personnage.
Les conseils ne manquent pas sur cette plante aux allures préhistoriques : ne pas trop la changer de lieu car elle est capricieuse, ne la mouiller qu’à la demande, l’éclairer sans la brûler et enfin – le plus beau de tous les conseils – la secouer3 fois par semaine, assez brutalement et sans la déraciner, afin d’imiter le vent et permettre le développement d’un tronc fort. Pour les personnes (comme moi) au pouce vert atrophié, ces informations sont déjà de trop et j’en étais aux prémices : changer de pot sans arracher les racines et les feuilles, et y ajouter de la terre sans en mettre partout. Avec l’aide de mon écumoire de cuisine (à la place de la pelle) et d’un peu de papier, j’ai, bon an mal an, fait le nécessaire sans renverser le pot.
Lyrata, les enfants t’ont baptisée Cécilia (comme la Sainte de la musique). Je comprends finalement que l’on puisse parler à ses plantes, comme j’ai parlé à mes poupées.
article publié dans lEcho Magazine