Existe-t-il un goût banal ? Les choses les meilleures sont souvent celles auxquelles nous nous sommes progressivement habitués. Cette vérité est d’autant plus puissante au petit-déjeuner, alors qu’à moitié endormis nous engloutissons pain, confiture et parfois même d’extraordinaires viennoiseries. Assise sur une terrasse au bord de l’océan Atlantique, je marmonnais cette vérité. J’étais, pour la première fois depuis 6 ans sans enfants, sans limite de temps, devant la viennoiserie nationale portugaise : le pastel de nata.
Il n’y a, assurément, rien de plus national que la viennoiserie. Le croissant suisse ne ressemble pas au croissant français (que les suisses appellent croissant au beurre) et le terme viennoiserie vient lui-même de Vienne, rappelant qu’avant la moitié du 19ème siècle le croissant n’était produit qu’en Autriche. La viennoiserie se situe dans un chemin intermédiaire entre le pain et la pâtisserie. De la pâte levée, des œufs, du lait, des raisins, un peu de chocolat, quelques fruits ; il en faut décidément peu pour créer une gourmandise de grande élégance. En rajoutant des ingrédients, on quitte la simplicité et on se dirige vers la pâtisserie. Voilà pourquoi les viennoiseries portugaises et leur impressionnante couleur jaune ont attiré mon regard. Il n’est pas difficile de voir, au Portugal, des étalages à perte de vue de croissants briochés, de croquants brillants, de pâtes spongieuses et roulées et surtout des plateaux de ces petites tartelettes à la crème brûlée : le pastel de nata (ou simplement « nata » pour les connaisseurs). La puissante couleur nait de toute évidence des jaunes d’œufs intégrés massivement dans les pâtes levées. La tradition dit que les très nombreux monastères empesaient les voiles et cols avec du blanc d’œuf et que l’on a commencé à utiliser les jaunes d’œufs en pâtisserie pour s’en débarrasser. L’histoire dit aussi qu’à Belém, dans les faubourgs de Lisbonne, à l’ombre du grand monastère de l’ordre de Saint Jérôme, les moines nécessitant une entrée pécuniaire ont développé cette viennoiserie, à mi-chemin entre le dessert et l’en-cas.
Ce matin-là j’avais face à moi une pâte feuilletée très cuite. Elle avait la forme d’un petit bol et on pouvait voir, sur les côtés, les moirures successives des fines couches de pâte. J’ai croqué et entendu le bruit profond des gâteaux gras et secs : le croustillant. Les miettes se sont étalées sur la nappe alors que mon mari secouait la tête de correction. J’étais sale de bon goût. Puis la cannelle (dont on les recouvre parfois) m’a fait éternuer. À l’intérieur et presque par surprise la consistance tiède m’a rempli la bouche, de crème délicate et trop sucrée, semi-résistante et fondante. Un goût d’œuf évident : la perfection d’un goût banal. J’aimerais goûter tous mes croissants du dimanche comme ce matin-là au bord de l’océan.
article publié dans l’Echo Magazine