J’en suis sûre : le ciel peut avoir de l’odeur. C’était le cas, alors que je descendais vers le littoral atlantique de la côte portugaise. Tout parlait de l’océan ; la lumière trop blanche de l’air et la terre rouge de sable. Je traversais pourtant une forêt inhabituelle pour l’amateur de marées que j’étais. De longs arbres « mi peuplier-mi bouleau » se pressaient vers la route. Ils avaient l’air déjà fatigués dans le climat tiède de la mi-février, leurs grasses feuilles mélancoliquement basses et molles. Je m’attendais à des pins et il n’y en avait aucun. Et puis je me surpris à compter les arbres. Ils n’étaient pas là par hasard, clairement plantés en lignes. Rien de ce que je voyais n’était naturel. Les kilomètres de forêts passaient sans une ombre de ce que le ciel et son odeur me promettait ; la méthodique forêt semblait vouloir me l’interdire. J’arrêtais la voiture pour regarder de près ce rideau faussement amical : c’était des eucalyptus… par milliers.
Eucalyptus gumulus pour être exacts. J’ai cherché sans fin de remonter comme un détective les chemins de cette plantation qui recouvre désormais 7% du territoire portugais. Quel arbre fantastique ! rapide d’adaptation, à la pousse phénoménale, il est l’arbre qui résout tous les problèmes tant et si bien que même le FSC (Forest Stewardship Council, organe qui surveille les forêts et certifie si les espèces sont rares) trouve que planter des eucalyptus est une très bonne idée. On l’a fait au Portugal pour résoudre les problèmes de malaria, car, planté dans les marais il les asséchait. On l’a aussi fait pour sauver une côte qui s’érodait gravement. Enfin on l’a fait pour sa masse fibreuse qui donne de l’excellent papier et tout ceci faisait pour un marché très profitable. Et voilà pourquoi ce jour- là, sur la M 603 je ne voyais que cet arbre immense à perte de vue. Je me suis arrêtée, pour me balader dans l’odeur d’huile essentielle qui transpirait des feuilles. Loin, me semblait-t-il des mouettes et des poissons abandonnés à marée basse et là j’ai compris qu’un débat faisait en réalité rage.
Le sol semblait pauvre, comme souvent au bord de mer, mais silencieux aussi : peu d’insectes, aucun oiseau. La terre habituée à se recouvrir d’espèces végétales diverses ne montrait aucune variation. Si on trouve habituellement 80 autres espèces dans une forêt, ici il n’y en a, d’après certaines recherches, que 15 dans une forêt de cette espèce. C’est aussi un arbre qui brûle vite et dans des lieux désormais toujours plus propices à des feux estivaux, ces forets ont participé au drame. Enfin et bien sûr, que fera-t-on lorsque la demande en pulpe de bois chutera, les journaux et les livres étant toujours moins imprimés sur ce support ?
Quant à moi, j’avais ce jour-là, l’étrange l’impression d’être face à un ennemi ; un arbre parfumé qui cachait une forêt complexe de problèmes à l’odeur nauséabonde.
article publié dans l’Echo Magazine