Il était 5h quand je me suis levée. Je suis descendue, ai allumé les lumières tamisées qui supportent les meubles de cuisine. Mon mari faisait le feu. Assise avec mon thé, engourdie de sommeil, j’ai fait un bref calcul. J’avais 8 enfants, et chacun allait passer par au moins trois sacrements d’initiation (baptême, communion, confirmation). 24 fêtes, à organiser et à célébrer. Ce matin-là, le 7ème de nos 8 enfants faisait sa première communion et j’étais donc, plus ou moins, à mi-parcours du marathon de vie de la maman catho.
C’est une vie en effet, que nous avons promise et donnée le jour de notre mariage, quand, dans l’insouciance de la jeunesse et sans en connaitre la portée, nous avons promis d’« accueillir les enfants que Dieu voudrait nous donner ». Une fois qu’ils sont là, pourtant, on en vient presque à penser qu’ils rendent notre rapport à l’Infini équivalent à zéro. Le jour de leurs sacrements cette quasi- vérité se fait évidence. La voilà donc, numéro 7, trépignante de joie alors que je fais le calcul du nombre de boissons, des invités qui ont répondu par mail et de ceux qui me l’ont dit par oral, du nombre de gâteaux que j’ai demandé d’apporter. Nous sommes toutes les deux pleines de notre préparation mais aux antipodes l’une de l’autre ; face au mystère qui va nous envelopper mais incapables de parler du sens du tout.
Le monde s’affaire et mon mari, ce héros, enfile à chacun ses chaussures, contrôle les nœuds de cravate et met en poche une tétine. Je cours alors me préparer. Devant le miroir, je redis la prière incomplète des mamans, toujours interrompue. Je refais le compte des enfants et nous divisons une bagarre. À la sortie de la voiture, je la regarde, me penche, soudain consciente, désireuse de dire enfin quelque chose, mais les mots sont pauvres. Je dis alors « concentre-toi, le Seigneur est grand, on se voit de l’autre côté ». La messe est enfin là, et je l’ai attendue, mais le petit m’oblige à sortir bien trois fois, zig-zaguant entre tous les enfants invités. J’arrive par grâce à être proche d’elle quand le moment arrive et pendant trois longues secondes, je peux remercier.
La suite est la riche vie de l’Eglise ; un peuple qui se rencontre et qui célèbre sa Présence. Ces fêtes rythment notre temps. Chaque personne, chaque bras aidant, chaque maman qui part à la recherche d’un enfant (égaré avec un groupe improbable d’amis depuis trop longtemps), chaque verre de vin échangé d’un regard qui dit le sens de la vie. Le sacrement se vit tout autant ici que dans la messe. Ce n’est que lorsque nous fermons le coffre de la voiture, enfin à la maison, quand j’enlève mes chaussures que le mystère de la journée m’envahit. Ce marathon de vie qui n’en finit pas me pénètre de toute part. Je n’ai, humblement, rien compris de ce qui s’est passé, mais j’en ai été un des vecteurs.
article publié dans l’Echo Magazine