C’est l’heure des comptes. Minuit sonne, minuit de la nouvelle année. Je n’aime pas Nouvel An, l’instant vertigineux et pourtant inventé ou le temps bascule vers demain. Le moment, les minutes, le compte à rebours, les baisers intenses d’une nouvelle aventure ; la nouvelle année. Un instant comme les autres, mais communément associé au règlement des comptes. Dans le trouble de la fête, des bombes aux ficelles en tire-bouchon, je penche vers demain plus que vers hier. Personne ne veut regarder vers derrière, pris par ce nouveau commencement et cette grande question : comment vais-je remplir le temps de ma vie ?
J’ai su que j’étais devenue adulte quand j’ai commencé à avoir des « résolutions de la nouvelle année » ; des langues à apprendre, des habitudes à lâcher, des lieux à découvrir. J’étais entrée dans l’efficacité de mon temps, de mes années, de mes journées. Ma vraie maison, la maison de ma vie est le temps. Il n’est donc pas la ligne que les diseuses de bonne aventure essayent de déchiffrer, mais une habitation que je meuble alors que les murs s’effritent du dehors. Tout ceci semble irrationnel. Alors que ma conscience de la mort, de l’effondrement augmente, le désir de décorer ma maison s’accentue. Comment était-ce avant l’invention de la montre ? On comptait les jours, le soleil et son ombre. On regardait avec sagesse les saisons modifier la nature et le corps des hommes. Depuis le 16ème siècle (et les premières montres sur les devants des églises) le temps s’est fait dense d’heures, minutes et secondes. Les cloches se sont mises à sonner pour rappeler la prière, et avec elle, la nécessité de faire un espace dans notre maison pour le maintenant. J’aime les villes dans lesquelles les cloches sonnent encore, dérangeant le rythme pour faire un écho dans le bruit du moment qui coule. Et j’ai un peu de mélancholie quand j’entends que ces bruits dérangent, alors que l’on nous propose des espaces de pleine conscience grâce à des méthodes nouvelles, des techniques et de la méditation.
Dans une famille nombreuse, la cacophonie règne puisque les enfants ne vivent pas comme nous. Ils vivent le moment et seulement lui, comme si des cloches sonnaient en continuité. Cela a parfois certaines conséquences néfastes (comme la répétition incessante de la phrase « on arrive quand ? » 10 minutes après le début d’un voyage et pendant les 8 heures du trajet). Je les regarde vivre, eux les plus beaux meubles de ma maison, vivre de ma présence et de ma joie d’être avec eux, alors que je désire fuir vers d’autres décorations plus prestigieuses, ou qui me semblent mieux me définir.
Devrais-je vouloir une décoration plus design, la sage sobriété de moins de désirs et de moins de projets pour la nouvelle année ? Je choisis de continuer à vivre impétueusement parce que j’ai assuré mes meubles et que j’ai construit ma maison là où, me dit-on, le temps n’a pas de prise.
article publié dans l’Echo Magazine