Travailleur de ville, toi qui est un puriste, tu n’es peut-être pas encore parti en vacances. Tu redoutes les queues des foules, les bronzages absurdes des touristes, et les achats ridicules dans les marchés exotiques. Tu aimes croire que le monde est encore inexploré et qu’avec ta tente, ton grill et ton amour de la vie nomade tu feras fi du comportement grégaire des migrations estivales.
Tu ressembles alors à mon mari, fada du camping. Je voulais le suivre et être comme Laura Ingalls dans La petite maison dans la prairie (roman que me lisait mon père quand j’étais petite) ; partie à la découverte des grandes forêts, combattant les indiens, dormant sur le toit de mon wagon. Mon mari secoue cependant la tête année après année, murmurant que le camping n’est plus ce qu’il était. Il cherche les bois, le feu devant la tente, le café du matin qui sent la fumée et le grand chaudron. Mais surtout il désire du silence, pour entendre la nature, le bruit des oiseaux et le gargouillement du torrent. Tout ceci existe de moins en moins et a laissé place à des campings qui arborent des étoiles, des piscines à tobogan, des gentils animateurs et des haies qui séparent les roulottes. Le sauvage n’a plus de lieu où aller et de moins en moins de silence. Les enfants par contre, trouvent très vite l’ami de la roulotte « grand standing » qui vient chaque année au même endroit, le cours de water-polo et l’animation du soir « spécial Brésil » à la petite plage, tout en mangeant avec les mains et dans des assiettes en papier. Les habitudes des « vrais sauvages » ne sont jamais loin de mes enfants. Elles sont toujours là, sous-jacentes comme à la maison. C’est donc au camping, il nous semble, qu’ils sont le plus eux-mêmes.
Ce n’est pas mon cas, et je suis bien loin de la vision romantique de Laura Ingalls. Comme je déteste installer et désinstaller, rouler et dérouler, plier et démonter, prendre dans un bac pour aller laver les assiettes au robinet ou à la rivière, ramener et ne pas savoir où sécher, sentir éternellement le saucisson fumé, la transpiration, le mauvais lavage. Laura et sa famille avaient-ils des vacances ? Je me rebiffe contre le retour à la vie primaire qui me semble inclure, évidement, un retour aux rôles primaires des femmes.
Au temps des buildings et du smog, le luxe semble ailleurs, là où même un instant tout semble possible à construire, là où les maisons n’ont pas de fondation, posées comme des yourtes sur le sol du monde. Quelque chose en nous qui désire la vie nomade et a soif d’un décloisonnement. Mais très vite, une fois que nous l’avons obtenu, notre besoin de mettre des racines appelle structure, sentiers, organisations du temps libre en temps bien rangé. Peut être que le vrai camping n’existe pas, car comment quitter notre première maison : nous-même ?
Article publié dans l‘Echo Magazine