Comme une chanson d’amour aux tons familiers et un apéritif au goût amer, mon Italie semble un gigantesque cliché. Je ferme les yeux et vois des femmes aux lunettes obscures boire des cafés sur des places à l’histoire éternelle. L’identité révèle sa profondeur dans les détails de mon imaginaire. L’ai-je rencontrée dans un film néoréaliste ou sur le pas de la porte, cette femme au tablier qui étale la pâte fraîche dont elle fera des tortellini? 100 grammes de farine pour un œuf: voilà la recette de la pâte fraîche (la sfoglia), base de toutes les pâtes italiennes. Si dans le plus simple naît l’éternel, il n’y pas plus élémentaire que cette recette. Mais je m’attaque à un monument. La farine est en effet de type 00, c’est donc une farine fleur de blé très tendre. Je parcours les rayons des supermarchés à la recherche de cet équivalent sans savoir que les Italiens importent leur farine, qui sera la seule à donner la même texture. Je me replie sur la farine fleur, «y’a rien d’autre», me dit le vendeur du magasin. L’œuf semble venir d’une poule bien exotique. Si l’œuf suisse du magasin pèse en moyenne 53 grammes, l’œuf nécessaire pèse 68 grammes. Vais-je devoir mettre des demi-œufs? Je me résous à peser ma masse d’œufs, à la mélanger à la fourchette et à l’adapter ainsi.
Nous sommes loin de la recette facile. Cette masse liquide se renverse ensuite dans le puits de farine et se mélange petit à petit afin de donner une boule élastique de soleil jaune. De très nombreuses tentatives infructueuses résultant en pâtes dures comme des missiles m’ont fait élucider un grand mystère gardé sous silence: on ne fait la sfoglia que sur une surface en bois. Les cuisiniers d’Emilie-Romagne (région principale d’où viennent les pâtes) ont des planches pendues au mur comme les Suisses ont des formes à spaetzli. Le bois rugueux se chauffe sous l’effet du pétrissage et permet cette texture brute mais parfaite. Après un repos bien mérité, la pâte s’étale à la main ou avec la traditionnelle machine chromée au look ancien. D’un geste efficace et généreux, on jette la farine sur la table pour faciliter son étalement. Combien d’enfants ont vu des nuages de farine remplir les cuisines et pleuvoir autour des tables? La pâte devient sfoglia (donc feuilletée) en étant pliée, puis étalée jusqu’à être plus fine que du papier. Ainsi la magie commence, en moins de 50 minutes (pour le cuisinier italien) et bien des heures (pour moi). Les pâtes sont ensuite pliées, coupées, remplies, roulées, pincées, séchées, congelées et se multiplient à l’infini en primi piatti qui varient selon les région, les sauces et les saisons. Quand je me suis vue avec mon tablier et mon rouleau étaler ma pâte fraîche, recouverte de farine, j’ai souri du cliché que j’ai voulu devenir. C’est aussi à travers la nourriture que l’on acquiert une identité
article publié dans l’Echo Magazine