Article publié dans l‘Echo Magazine en 2014, jamais édité sur ce site.
Notre planète abrite des lieux résolument hostiles ; des déserts battus par les vents, des montagnes escarpées, des volcans brûlants et autant de lieux où l’homme ne s’aventure presque pas, respectant sa petite place. Dans ces lieux étonnants les plantes, elles, font de toute exception une occasion et y élisent domicile. Il en va de même pour les bacs à fleurs des promenades mélancoliques et abandonnées des bords de mer. Ils sont asséchés, salés, et recouverts de mégots, et accueillent cependant des souriantes succulentes.
Les succulentes : un mot merveilleux pour décrire les plantes grasses. Sans même en connaître l’étymologie, je comprends déjà qu’on a nommé les plantes « grasses » pour un ensemble divers de raisons, leur aspect gonflé, leur texture « plastique et cuir », et leur couleur profonde et généreuse. Elles sont tantôt rondes et joufflues (les crassulas), tantôt longues et griffues (les Aloe vera), tant, tantôt petites et pointues (les griffes de sorcières). L’appellation « plantes grasses » recueille un ensemble large de plantes de familles différentes unies par leur capacité de garder de l’eau. En effet, elles sont au règne végétal ce que les dromadaires sont au règne animal, c’est-à-dire des organismes qui survivent dans des circonstances difficiles par les réserves d’eaux (ou d’énergie) qu’ils emmagasinent. Chaque feuille est une amphore de suc (d’où le nom de succulente). Cette peau épaisse au toucher de gomme permet de limiter la transpiration des feuilles, et les stomates (petits trous des feuilles qui font entrer l’eau) s’ouvrent la nuit ou le matin tôt pour accueillir la rosée de la mer. Leur plus grande capacité de survie réside cependant dans leur reproduction. Chaque bout de succulente qui se détache de la souche, bouture naturelle, redonne facilement une nouvelle plante, elle porte en elle, comme un petit frigidaire, tout ce qui lui faut pour survivre et redonner une nouvelle plante.
Sur la jetée face à la mer (en Ligurie), fascinée par ces plantes dignes de décors de science-fiction, qui poussent librement à l’air sans eau, sans terre, j’ai envie d’en accueillir une chez moi. C’est en effet le début de la saison froide, et l’unique façon de pouvoir en profiter sous nos latitudes est dans un pot à l’intérieur, à côté de la fenêtre. Car le gel est le seul « grand prédateur » que craignent les succulentes puisque les sucs se congèlent. J’ai ainsi prélevé les feuilles d’une crassula que je mettrai en terre dans un joli pot de terre sèche et bien drainée (je mettrai des cailloux au fond du pot). Je ne la nourrirai presque pas, j’oublierai de l’arroser, je ne penserai pas aux animaux et aux maladies. Et ainsi, par le miracle immense d’une nature toujours survivante, elle grandira. Elles étaient là bien avant nous, et seront là quand nous aurons quitté cette terre.