La masse ambrée et épaisse brille de la juste chaleur. Du fond du conteneur, les bulles traversent difficilement le liquide et semblent vouloir me parler. Elles promettent la couleur dorée, le rendu croustillant et tendre, l’onctueux croquant qui résiste avant de gicler dans la bouche. Dans l’assiette, les beignets qui s’apprêtent à y être plongés semblent sans vie. La friture est en effet promesse de grande transformation. Elle change la texture de la nourriture et donne vie au plus fade des légumes. Le frit m’a conquise et mon cœur culinaire n’est plus à prendre.
Dans la tradition chrétienne, on associe volontiers le carnaval aux beignets et ainsi la période qui suit, le carême, à une forme d’abstinence de tout ce qui est abondant et riche, en particulier la friture. Nos frères chrétiens d’Orient font d’ailleurs rigoureusement carême d’huile. J’ai dû faire carême toute mon enfance, car à la question «tu nous fais des frites?» maman répondait: «C’est l’hiver, je ne veux pas frire dans la maison» ou «c’est l’été, il fait trop chaud». Je suis sortie de cette longue abstinence à l’achat de ma première friteuse et, depuis, je découvre l’agréable futilité de ce processus de cuisson.
Nous pouvons en effet cuire les aliments frugalement dans l’eau, sur le feu, et le gras n’est nécessaire qu’en minuscule quantité. La profusion d’huile qui accompagne la friture par immersion (en anglais deep frying, frire en profondeur) est donc une simple exubérance. De plus, cela implique la décision volontaire de recouvrir le goût simple de l’aliment par le goût du frit qui est, en réalité, plus un texture qu’un vrai goût. Cette luxuriance, présente dans toutes les cultures (mikaté au Congo, tempura au Japon, donuts aux Etats-Unis, churros en Espagne, latkes dans la tradition juive, boules de Berlin chez nous et j’en passe), en fait le processus culinaire le plus universel qui existe. Il est
en outre simple dans sa réalisation: une pâte épaisse, des aliments que l’on désire recouvrir – c’est optionnel –, de l’huile qui tient la chaleur (jamais plus de 180 C°), du papier absorbant et une grande casserole (ou une friteuse). La friture est avant tout source de joie commune et simple. Dans sa forme inégale et couleur caramel, elle ne suscite aucune méfiance. Or pauvre de la cuisine, par sa simplicité elle ne résiste qu’aux fins palais désireux de goûts complexes. Comme toutes les fortunes vite acquises, elle a pourtant son coût: odeur âcre et collante, lourdeur d’estomac et brûlures possibles. Assumant avec joie la simplicité de mon palais et les coûts annexes, j’assume avec joie le «nouveau riche» que je suis.
Je suggère la lecture du Livre des frites chez Hachette cuisine pour les merveilleuses recettes de frites de légumes et les conseils divers sur les machines, les types d’huile et les types de cuisson.