Les anglais disent que rien n’est certain, si ce n’est la mort et les impôts (« death and taxes »). Comment cependant ne pas s’émouvoir du bal immuable des saisons ? Mes sens en éveil perçoivent la couleur de la lumière dorer et devenir transparente, prémisse paradoxale du froid et de la nuit. On est en automne. J’ai vécu cette même expérience 37 fois et je ne m’y habitue pas. Quelque part au-dessus de moi, la terre, fidèle à son grand cycle, s’éloigne du soleil. La nature, compagne de la terre, nous prend pas la main et nous montre le chemin du changement.
Les vergers donnent leurs derniers fruits, les roses montrent leurs derniers atouts, et les arbres deviennent royaux. Ocre, carmin et or, les feuilles si belles dénudent en un coup de tempête leurs propriétaires et finissent comme du papier froissé sur notre sol. Par milliers et recroquevillées elles inondent notre vue, nos trottoirs et nos pare-brises. J’aime regarder les jardiniers de ville se battre contre le chaos momentané de ce flash de nature envahissante, chaque arbre de taille moyenne se séparant de quelques 50’000 à 80’000 feuilles (et un grand chêne peut en avoir jusqu’à 800’000). La nécessité du labeur est due à la rapide décomposition de ces feuilles au contact de l’eau. Elles acquièrent ainsi cet aspect gluant et marron caractéristique de l’humus de nos sous-bois, et sont particulièrement glissantes.
Pour le jardinier elles sont une aubaine. Munis d’un râteau -étrier, ou balais à feuilles (sorte d’éventail un peu griffu qui permet aussi d’aérer le sol), il faut les extraire du gazon pour qu’elles ne l’étouffent pas. Les jeter serait un crime tant elles sont riches -deux tiers de la substance vitale des arbres est dans ses feuilles-. Elles peuvent servir pour couvrir les plates-bandes au potager et empêcher la pousse de mauvaises herbes. Elles peuvent aussi être compostées en veillant bien à les intercaler avec d’autres déchets. En effet elles sont très chargées en carbone, et tout compost doit être un sain mélange de déchets variés. Trop de feuilles pourriront et ne se décomposeront pas. Pour aider le processus, on peut louer une broyeuse et en faire des confettis. La « Charte des jardins » de pro Natura (dont nous reparlerons) me propose de laisser quelques tas de feuilles et branches à travers le jardin, comme petits abris d’hiver pour les hérissons et petits rongeurs.
Si ma petite sagesse de jardinier me fait accueillir les feuilles, les aimer et les utiliser, la vérité de ma vie de femme désirerait les retenir, comme les grains dans un sablier. Symboles du temps qui passe, mélancoliques dans leur valse, elles me rappellent ma petite place dans l’univers. La nature sait qu’elle nait et meurt. Pour ma part, je pense avoir besoin de nombreux automnes pour le comprendre.