Le champignon pousse en toute saison, paraît-il, mais l’automne et son climat mélancolique et tourmenté est la saison rêvée pour en trouver. Ce qui pose déjà une question économique: la Suisse étant cou- verte pour un tiers de forêts et le kilo de champignons coûtant au moins 10 francs, les bois devraient être parsemés de promeneurs à la recherche de bonnes affaires. Or les forêts d’automne sont étonnamment vides: pourquoi les gens ne vont-ils pas tous aux champignons? Peut-être parce qu’ils ne savent pas? Il me fallait donc tenter l’expérience. Le monde des champignons est comme celui du jazz: pour y accéder, il faut y être introduit par un connaisseur, un ami qui sourit à chacune de nos erreurs, comme celle des chaussures et des habits. Car les champignons sortent après la pluie dans les sous-bois frais. Avec mon tee-shirt estival et mon short, j’étais décidément sous-équipée. Il faut aussi un récipient (aéré, donc en tissu ou en papier, mais si possible semi-rigide, comme un panier) ainsi qu’un petit couteau pour nettoyer le champignon sur place. Enfin, l’ami est crucial dans le choix de l’endroit. Le secret des coins à champignons est soigneusement gardé et seul un ami peut les divulguer: un vrai cadeau. S’enfoncer dans le sous- bois humide en quittant les bruits de la civilisation suscite quelques craintes. Bientôt le sol change de consistance, la terre battue devient un tapis d’épines et finalement une mousse vert tendre délicate et dentelée. Nous cherchons les vieilles souches, les arbres tombés et les zones où l’empreinte de l’homme est la plus faible. Les champignons poussent là, dans l’équilibre parfait entre humidité, chaleur et acidité du sol.
Mon allure ralentit. Pour voir les champignons, il faut faire un pas toutes les cinq secondes, cesser de parler et presque retenir son souffle. Je découvre qu’il y a beaucoup de champignons, mais que la plus grande partie n’est pas comestible. Et tout à coup, le voilà! Chapeau marron dans le sous-bois marron, son pied jaune enfoncé dans la terre comme pour dissimuler sa couleur trop vive. Petit d’abord, mais tellement grand dans son potentiel. Car si on trouve un bolet (et c’est un bolet!), il y en au- ra d’autres dans les parages. Je regarde à mes pieds comme dans un champ de mines. Je m’accroupis et je les vois apparaître les uns à côté des autres. Fichtre! Qui l’eût cru? Je vais d’un champignon à l’autre et, quand je relève la tête, je découvre que je suis perdue: tous les arbres sont identiques. J’ajouterai donc le GPS à la liste du matériel. Pas facile de trou- ver ces champignons. J’ai dû m’effacer un peu moi-même dans la forêt pour qu’ils puissent apparaître.