Il enfile son vieux tee-shirt et son pantalon de travail, roule sa cigarette et me dit: «Viens, on va s’occuper du bois». Mon mari est un homme de peu de mots, alors j’obéis en souriant. La fraîcheur qui accompagne le soleil bas et orange de l’automne indique que le moment est propice à la préparation des réserves de bois pour le poêle. Je sors donc chaussée de bonne volonté et de ballerines bleues. C’est que notre poêle n’a que six mois et je ne connais rien au bois. Tout le bois est-il du bon bois? Com- ment le choisir? Comment le conser- ver? Tous les bois peuvent être brûlés, mais certains brûlent mieux, plus vite, et produisent plus ou moins d’énergie. Or le bois le plus efficace, tel le pin ou l’épicéa, est absent de notre jardin, c’est pourquoi nous l’avons fait livrer.
Un charmant monsieur est arrivé comme promis sur son tracteur, avec le physique d’une grande armoire aux mains immenses et un incroyable sourire; il a renversé 8 stères (m3) de bois devant la maison. Hé oui, la famille est nombreuse et la maison gran- de! Un travail harassant a précédé la livraison de cet inépuisable tas de bû- ches longues de 50 cm: les troncs ont été coupés à la tronçonneuse, puis fendus dans le sens de la fibre avec une hache ou une machine à fendre le bois. Ils ont ensuite été rangés afin de vieillir encore puis- qu’on ne brûle que le bois coupé de- puis plus de deux ans.
Me voici en ballerines devant mon tas de bois. Je regarde ces bûches beige clair de formes inégales. Elles sont si belles, si denses. On reconnaît le bois bien vieilli à sa densité et on repère instinctivement les meilleurs mor- ceaux: ceux qui brûleront lentement et produiront une grande chaleur. Il va me falloir des gants. Patient, mon mari, avec son air de cow-boy dans une pub Marlboro, montre comment l’empiler de façon à le protéger de la pluie (pour qu’il ne pourrisse pas), le séparer du support pour laisser circuler l’air et le stabiliser pour qu’il ne s’effondre pas au premier orage. Des bûches me tombent sur les pieds, j’ai des échardes et, après dix minutes dans la position de celle qui sort les plats du four, j’ai mal partout et j’en ai marre. Il me faudra une journée entière pour finir. Nous ne sommes pas tous égaux face aux tâches manuelles. Un menuisier me vient à l’esprit, Jésus. Après ce travail, je n’arrive plus à l’imaginer lisse et doux avec des cheveux soyeux comme dans les films ou relax comme Roger Federer après un match. Tout ce bois, cette lourdeur, ce travail manuel pendant les trente années de sa vie privée ont dû le rendre fort et brut comme un beau visage taillé dans le bois. C’est à croire que bien des artis- tes qui le représentent n’ont jamais empilé des bûches!
Troublant de vérité.
Je ne me lasse pas de vous lire très chère Douve! Votre plume est inspirante. De mon côté, j’ai juste engagé mon frère pour aider mon mari; deux charpentiers, menuisiers, ouvriers valent mieux qu’un et demi :-))))