Quand j’avais 15 ans, je me rendais chaque semaine à la piscine de Maputo, la capitale du Mozambique, où je vivais alors. J’avais choisi la piscine utilisée par les Mozambicains et pas celle, très soignée, des expatriés. Un jour, pourtant, je ne pus pas entrer, car elle était fermée pour nettoyage pendant deux semaines. Je trouvais la méthode drastique, mais j’étais reconnaissante. En effet, j’avais été dégoûtée par les algues qui décoraient les murs de la piscine. Deux semaines plus tard je retournai à la piscine, et quelle ne fut pas ma surprise, à la sortie, de voir mes cheveux tomber et mon corps peler entièrement. Je rentrai chez moi les yeux gonflés. L’acide mis dans l’eau pour tuer les algues avait bien failli avoir ma peau!
La campagne suisse contre l’excès de pesticides et la mode du bio placent le jardinier amateur au pied du mur: que va-t-il mettre dans son jardin pour lutter contre les plantes envahissantes, les insectes, les limaces et autres maladies? Dans mon désir quasi primaire de dominer la nature que j’ai ordonnée minutieusement jour après jour, vais-je jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est à dire tuer, en même temps que les ravageurs, les plantes et insectes sains et nécessaires à mon jardin, reproduisant ainsi les excès vécus dans ma piscine?
Je dois avouer la pulsion de tueur sanguinaire qui domine mon coeur lorsque je découvre les destructions provoquées par les limaces après un jour de pluie. Ma grand-mère assouvissait une même soif de vengeance en regardant fondre les limaces, comme dans un film d’horreur, sous l’effet du sel dont elle les saupoudrait. Je les regarde moi aussi agoniser sous l’impact des petites granules bleues.
«J’ai essayé tout ce qu’il y a de bio», dis-je à un ami écolo qui me rend visite: les coquilles d’oeuf qui les blessent, la cendre qui les freine, les coupelles de bière qui les noient! Mais rien n’y fait, elles continuent de dévorer mes salades et mes dahlias. Les produits écolos ne peuvent-ils pas être aussi efficaces que la chimie bâloise? Mon ami me décrit alors un remède miracle (et internet confirme que ça marche): enterrer des boîtes de glace remplies de bière avec des trous sur le côté; une piscine à limaces, en quelque sorte. Toutes les limaces y pénétreront et elles seront incapables d’en sortir.
Mais les écolos purs et durs sont aussi contre la piscine à limaces et son action «radicale». Je comprends alors que la différence réside dans la cohabitation avec les envahisseurs. Le problème est bien mon instinct de serial killer. Seulement, dans un monde où tout est contrôlé, minuté et orienté sur l’efficacité, y a-t-il encore de la place pour une cohabitation pacifique?
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