La Genèse raconte que le Seigneur punit Adam et Eve quand ils mangèrent le fruit. Il dit alors à Adam : « maudit soit le sol à cause de toi, à force de peine, tu en tireras substance tout au long de ta vie » (Genèse 3, 17). C’est à ces mots que je pense, alors que, à bord d’un Fiat 500 rouge, je dévale les champs verts et désordonnés des Pouilles (dans le talon de l’Italie). Il semblerait que la punition biblique n’ait pas eu d’emprise sur cet endroit. Ici tout semble se multiplier dans le clair et tiède soleil du printemps, comme par simple grâce. Les historiens parlent des Pouilles comme du grenier de l’Empire Romain. Mon maitre d’école -bien peu historien- m’avait même raconté que, dans cet endroit baisé par le ciel, les paysans faisaient deux moissons de suite sur la même saison. Les Pouilles (et le bassin méditerranéen) seraient donc la terre où coule le lait et le miel : l’Eden en quelque sorte.
Il me semble qu’ici même un enfant peut comprendre, dans le sol brun et retourné, le présage d’une immense multiplication. Pilotant ma légendaire petite voiture, la musique estivale promettant un apéritif italien, je vois apparaitre un champ d’arbres. C’est lui, L’Arbre, l’olivier. Le roi des plantes impose le respect de son âge, du tourment de son tronc, de la fertilité de sa vie. Ses feuilles décorées d’argent attirent l’œil parce qu’elles tendent vers le ciel comme autant de bras ouverts. J’arrête ma voiture sur le bord de la route et chevauche la rigole qui protège le champ. Je traverse le sol humide pour approcher le champ de troncs noueux. La terre colle d’humus profond sous mes pieds. Je zig-zague entre les artichauts, les blettes, les épinards, les coquelicots, les oignons nouveaux, les fèves et les salades. Dans les royaumes des couleurs vertes, l’olivier surplombe et met de l’ombre. A ses pieds, me voilà soudainement humble. Je caresse l’inégalité grise de son écorce, m’enfonçant dans les sillons plantés par les apuliens (habitants des Pouilles). Leur sagesse ancestrale veut que l’on plante ici les potagers sous les oliviers, pour attirer l’humidité et l’ombre et faire face à l’habituelle sècheresse estivale du climat méditerranéen. On me dit que l’olivier peut vivre jusqu’à 2000 ans et que les arbres du jardin de Jérusalem ont probablement vu la dernière nuit du Christ. Le « mien » pourrait avoir bien 100 ans. Il a vu le monde sans voitures, sans arrosage automatique et sans avions dans le ciel. Il me semble être celui qui a donné une branche à la colombe pour avertir Noé de l’existence d’une terre ferme après le Déluge.
Je suis dans le berceau de l’Europe, de la philosophie mais aussi de la foi. Cette terre a permis le développement d’une grande civilisation qui arrive jusqu’à moi. Elle est culture du sol qui devient ma culture, de mon sol à mon histoire et à ma prière.