Dans la pénombre d’un jour tout frais je me lève. Le héros à côté de moi grogne et va me faire le café. Je sens l’Echo qui bat la mesure du temps qui passe ; déjà deux semaines. Il est temps d’écrire ce qui occupe mon cerveau depuis un moment ; mes 3000 signes pour la page 41.
41 : quel nombre étonnant pour cette aventure ! On est venu me chercher, il y presque sept ans, dans la léthargie rigolote de ma vie domestique pour me demander de tout mettre sur papier : le jardin, la vie et tous les ratés. J’ai demandé : « vous voulez tous les essais et toutes les questions ? Mais ce n’est pas un peu impudique ? » Le grand monsieur aux lunettes était sûr, il voulait que j’écrive de tous les détails. Il a corrigé strictement les pages de test, m’a fait raccourcir mes phrases et a décidé de me mettre en 41, à côté de la BD.
J’ai alors acheté une salopette de jardinage, pris ma pelle et ouvert la cabane à outils. Les enfants se tiraient dans ma jupe, pleuraient devant les limaces et riaient des fraises cueillies. Cependant, chaque conflit avec la résistance de la nature laissait émerger un pourquoi qui n’était pas mécanique. Quelqu’un pouvait sûrement répondre à la question du jaunissement de mes feuilles. Mais une question amenait une grappe d’histoire, des combats humains pour résoudre le problème, de la science derrière chaque produit, de la botanique derrière chaque nervure de feuille et du latin derrière chaque nom de la nomenclature des plantes. En filagramme derrière chaque question que nous posons, la vie bat de sa merveille.
Je passais de la lumière du potager à la pénombre des murs froids de l’entrée, enlevais mes bottes de pluie et voyais que les murs continuaient à faire écho des questions. Pourquoi l’amidon est-il super pour le repassage ? Pourquoi le levain fait gonfler le pain ? J’ai commencé à tout regarder. Il fallait avoir de quoi écrire et donc se mettre à vivre vraiment. Si notre vie devient le minuscule sujet de 3000 signes, il faut avoir beaucoup à dire.
Les choses racontent, elles disent d’une Création immenses et elles parlent d’une Incarnation qui finit par sauter aux yeux. Parce qu’un journal m’a demandé d’écrire, j’ai été amenée à voir une vie où tout est prière. Ces articles ont été le lieu de la conversion de mon regard, puis de celle de mon cœur. Il devient alors possible de s’agenouiller presque partout. Le Christ, maitre de l’univers a choisi de vivre dans mon jardin, dans ma cuisine, dans les legos de mes enfants et les ambiguïtés de mon cœur.
Il est temps de parquer ma voiture hors de la page 41. Merci extraordinaire journal d’avoir permis que 3000 signes effleurent un minuscule point du monde et du temps. L’écriture est pauvre pour dire tout ce que la vie révèle. Bien des personnes, plus talentueuses que moi, ont combattu cette tâche. Mais c’est à moi que vous l’avez demandé, et j’ai dit oui. Le reste n’a pas été à moi.