Petite, j’allais chercher le lait avec un pichet en plastique bleu, enviant mes copines «modernes» qui buvaient le lait UHT en berlingot. Puis, en régime de pénurie, en Afrique, je découvris le lait en poudre que ma maman dissolvait dans de l’eau filtrée. Je me souviens du goût merveilleux des grumeaux de poudre que je faisais éclater dans ma bouche. Enfin est venu le temps des supermarchés américains et des gallons aux couleurs bariolées (sans gras, 20% gras, avec calcium renforcé, etc.). Et me voilà maman, traquant la légendaire action «10 francs, 10 litres» de Migros, chargeant mon chariot de 70 litres et zigzaguant dans les allées pour amener le tout à la caisse.
Je pensais avoir tout vu jusqu’à ce que ma soeur, intolérante au lactose, me fasse passer le mur du son et m’amène dans le monde des laits végétaux. Il existe bien du lait «délactosé», mais on dit le procédé chimique. Les intolérants migrent alors vers les pâturages des véganes: le monde du lait végétal. Là les berlingots se déclinent en couleurs «nature», beige, vert clair, bleu pâle, et il n’y aura, à mon sens, jamais d’action «10 francs, 10 berlingots ». Il y a, c’est vrai, des laits végétaux de tous types: de noix (amande, noisette, cajou, coco) et de céréales (soja, avoine, riz). Mais tout n’est pas vert dans ce monde non plus: explosion de la production, importation massive, traçabilité. La norme bio n’est donc plus suffisante pour garantir un lait «propre».
Il est toutefois possible de faire son lait à la maison, ce qui est bien sûr très classe. J’ai visionné bien des vidéos et ai produit pour le palais de ma soeur une myriade de laits. Le petit producteur doit être muni d’un très bon mixer, d’une toile qui filtre (comme pour la gelée) et d’un bocal propre pour contenir le lait. Le procédé est fantastique. Il faut une tasse généreuse de matière à broyer, un litre d’eau et un ingrédient pour adoucir un peu (on utilise souvent des dattes ou du sirop d’érable, eux aussi problématiques). J’aime mixer le tout, voir l’eau devenir d’un blanc crémeux, puis déposer la masse dans un tissu que je serre. Le liquide coule entre mes doigts dans la passoire et à l’aide d’un entonnoir, je le mets dans une bouteille. Et hop, au frigidaire, où il ne durera guère plus qu’un lait pasteurisé. Les laits végétaux sont moins bons que le pire des laits de vache. Dans le café, c’est terriblement morose et le matin c’est vraiment déprimant.
Je lis que les véganes le boivent par respect pour les animaux. Il est difficile, pour une mère productrice de lait durant plus de six ans, de comprendre cet argument. Dans l’environnement violent qu’est une famille, loin de la paix que l’on souhaite aux bêtes, j’ai donné du lait, parfois plus de dix fois par jour. Je le dis haut et fort: celles qui ont du lait comme moi sont contentes d’être traites et vidées!