Sur la tige creuse de fragiles fibres froides, la tête semble avoir été artificiellement posée. Les pétales, comme de fines membranes, se chevauchent à peine. La tulipe nait d’un oignon qui la contient et d’où elle se déplie et se multiplie par peaux successives qui s’écartent avec puissance subtile. 340 jours de silence terrestre pour 20 jours de lumière. Si de chaque oignon ne naît qu’une fleur, et qu’il faut ainsi les planter par dizaines pour simplement les remarquer pourquoi faire tout cet effort ?
Je l’ai toujours trouvée déprimante. De petite flèche printanière et dynamique, elle devient subitement mou petit serpent au rares pétales émiettés sur la table. C’est pourtant sous cette dernière forme que les tableaux hollandais du 17ème siècle la peignent, soulignant que c’est dans cet aspect fané qu’elle est la plus belle. Nous pouvons faire confiance aux hollandais, elle est, après tout, leur emblème national. Vers 1630, alors que la Hollande prospérait, la tulipe fut même source de la première grande spéculation boursière. En effet, était apparue sur le marché des bulbes de tulipe, une fleur à marbrures, dont la reproduction artificielle était impossible. Elle était porteuse d’une maladie qui la pigmentait de la sorte ; il fallait 7 ans pour avoir de nouveaux bulbes par multiplication naturelle. On l’avait appelée Semper Augustus et les catalogues « de mode » de fleurs de l’époque multiplièrent sa réputation. Rareté, mode et disponibilité financière : tous les ingrédients étaient réunis. Le prix des bulbes s’envola et, au sommet de la tulipemania, le bulbe de Semper Augustus se vendait le prix d’une maison. La mania s’étendit à un grand nombre de bulbes, de formes différentes. Comme de raison, les prix s’effondrèrent, mettant en banqueroute une partie de la bourgeoisie hollandaise. Si cette fleur peut contagier l’art flamand et défaire des empires il est temps que je m’y attarde.
La famille des tulipes est vaste et se divise principalement par la forme de sa tête. Cette dernière peut être simple ou double, étroite et longue ou grosse et large. Elle peut avoir les bords dentelés (la tulipe perroquet, ma préférée) ou finalement striée (les Rembrandt, dont faisait partie Semper Augustus désormais disparue). Son oignon se plante en automne, arbitrairement, et la fleur apparaît en avril. Entre ces deux moments, elle disparaît de la face de la terre. Je planterai mes premiers bulbes le prochain septembre pour toucher cette éphémère beauté. En attendant je n’ai que les jardins qui m’entourent et la peinture flamande du 17ème siècle pour m’émerveiller de ce symbole de la fragile vanité de la vie. C’est ainsi que je comprends pourquoi elle est belle même fanée. Elle ressemble peut-être à la femme de 40 ans.
La suite de mes aventures avec les tulipes dans 6 mois !
article publié dans l’Echo Magazine
quelques petites perles:
le lancement du film « Tulip Fever »
l’explication de la spéculation de la tulipe selon Oliver Stone dans « Wall Street 2, Money never sleeps »