à Diego, pour qui chaque repas avec la mayonnaise est une fête
Avez-vous aussi, comme moi, un ami qui a l’air insignifiant et gris? Mais ce n’est qu’une apparence. Qui le croise dans la rue ne lui prête aucune attention. Une fois connu, il se révèle être non seulement intéressant, mais même plein de ressources, l’ami essentiel, celui qui anime toutes les fêtes et transforme toute amitié en richesse. En cuisine, cet ami c’est l’œuf, et la plus belle fête à laquelle il nous invite est la mayonnaise.
L’œuf est modeste. Sommaire condensé de protéines dormantes et d’eau entourées d’une coquille de calcaire, la substance visqueuse qui le compose (albumen, le blanc, et vitellus, le jaune) n’a l’air de rien; un simple agrégat de matière primaire. Pourtant, soumis à l’énergie humaine, chaleur ou mouvement, il se transforme radicalement. Là les protéines se réveillent, s’activent, prennent plus de place: le blanc durcit ou gonfle, le jaune se lie; c’est comme si on rencontrait le même homme en boîte de nuit, roi de la danse, habillé pour la fête: œuf à la coque, œuf au plat! Si ces transformations arrivent à l’œuf lorsqu’il est seul, ses propriétés sont décuplées lorsque l’on associe cet amas de protéines à d’autres aliments. Il fait tenir ensemble des gâteaux, introduit de l’air dans la mousse au chocolat. Notre petit homme devient alors un élément incontournable en société gastronomique.
Enfin et surtout, il est l’acteur d’une grande rencontre amoureuse avec une demoiselle que tout oppose à lui, l’huile. En effet, l’œuf est constitué d’eau, et l’eau et l’huile se repoussent mutuellement. Si l’énergie humaine les associe en y ajoutant un intermédiaire comme la moutarde (que l’on appelle émulsifiant) et fouette ces deux opposés que la nature a voulu si différents, les particules de l’huile et de l’eau contenues dans l’œuf se divisent en millions de gouttelettes prêtes à se rencontrer, s’embrasser et fusionner. Emulsion, mousse suspendue d’huile et d’œuf, mayonnaise: voici différents noms que l’on peut donner à cette rencontre. Les conditions nécessaires sont toutefois drastiques pour une union parfaite: l’huile approchera l’œuf avec délicatesse, comme un filet, et ne le noiera pas. De son côté, l’œuf ne sera pas froid, juste sorti du frigidaire, mais amical, à température ambiante.
Ce mariage est une fête: la fête d’une union incomparable et onctueuse qui ravit les sens. Si la mayonnaise peut contenir jusqu’à 75% d’huile, elle n’est rien sans le viril et peu insignifiant jaune d’œuf. Chaque rencontre est unique, car chaque œuf est différent. Tous ceux qui ont déjà raté une mayonnaise le savent comme moi, toutes les conditions peuvent être réunies et il n’y a parfois devant nous qu’un amas fatigué et divisé de gras jaunâtre. Même avec le plus qualifié des œufs, une mayonnaise qui n’a pas pris est un triste spectacle.
Article publié dans l’Echo Magazine