L’apiculteur est un héros de contes de fées. Lui aussi porte une épée et une armure et sait parler aux oreilles des dragons. C’est ainsi que j’imagine mon ami alors que, recouvert de son habit blanc, il ouvre avec précision les cinq ruches. Patiemment, le soleil dans les yeux, il s’approche des petites abeilles qui vrombissent d’activité fébrile. Capable de gestes précis dans le feu de l’action, il a appris à parler avec ces petits êtres mystérieux qui habitent les ruches. Les abeilles sont des créatures bien énigmatiques. Le cerveau grand comme une graine de sésame, elles n’en sont pas moins parmi les plus abouties du règne animal. Nous les savons poilues, ailées, zébrées, butineuses, pollinisatrices, travailleuses, mais aussi danseuses et musiciennes. Seul l’apiculteur connaît le secret du microcosme social sans lequel elles seraient perdues. Elles sont en effet organisées selon leur âge par métier (nettoyeuse du jour 1 à 3, nourrice de larves, maçonne, ventileuse, gardienne, butineuse à partir du 20 ème jour) et elles accomplissent tous ces métiers dans l’arc d’une toute petite vie (1 à 5 mois). Dans l’espace d’une ruche elles vivent, plus de 40’000, recroquevillées dans les alvéoles de cire qu’elles fabriquent pour y faire grandir leurs larves.
La reine, sélectionnée par ses pairs dès la naissance, et nourrie à la gelée royale pour acquérir ses compétences de pondeuse, domine cette petite économie avec l’autorité d’un vrai chef. Si l’espace vient à manquer, une crise du logement se manifeste qui entraîne la reine à déserter la ruche et à emporter avec elle l’exacte moitié de chaque corporation. Enfin, elles ne fabriquent pas le miel toutes seules, mais dépendent l’une de l’autre, régurgitant le suc de la fleur dans la bouche d’une compagne pour accélérer l’évaporation de l’eau. Mon ami apiculteur, qui connaît ses abeilles, choisit chaque fois la meilleure stratégie d’approche. Il sait les endormir avec de la fumée qui les induit en erreur (elles se tiennent alors tranquilles et il manipule la ruche). Son regard perçant lui permet de reconnaître une reine dans la masse informe et vibrante de vie et il sait estimer le moment d’ajouter de l’espace afin qu’elles ne s’en aillent pas (l’essaimage). Il les protège avec rigueur des maladies qui déciment les ruches. Enfin, après un travail de surveillance acharné, il sait extraire le miel qui se trouve dans les hausses (voir Echo Magazie no 31) et le filtrer. Son travail est sans répit : couper, démonter, regarder, choisir, se faire piquer. Chaque pot de miel, au coût important, rappelle que le partenariat ancestral entre l’homme et l’abeille est fait de compromis et de combats, mais surtout de temps et de travail. Comme dans toutes les histoires anciennes, de la rencontre entre ces deux forces mythiques naît un bien qui est pour tous.
un essaim à la recherche d’une nouvelle maison
article publié dans l‘Echo Magazine