Il était une fois un roi puissant qui avait une fille très belle. L’histoire dit que le roi, pour se rassurer sur l’amour de son enfant, lui demanda combien elle l’aimait. Elle lui répondit qu’elle l’aimait «comme le sel», ce qui le rendit fou et lui fit bannir la jeune fille. Bien des années plus tard, alors qu’il vint à manquer cruellement de sel, le roi comprit la valeur et la profondeur de l’amour de son enfant. Le manque est aussi réel pour moi quand je mange le pain sans sel de ma Toscane natale, volontairement terne pour accompagner les mets puissants de cette région. En effet, ce minerai, le seul que l’homme consomme, semble si banal qu’il est facile d’oublier son rôle vital dans notre vie quotidienne. Plus de 14’000 utilisations du sel ont été recensées. Il fixe les couleurs sur les vêtements, préserve la nourriture, soigne certaines maladies, dégivre le sol, nettoie la rouille, garde les fleurs fraîches et j’en passe. Il a sa place dans nos maisons et même dans de nombreux rites de notre vie spirituelle (on trempe le pain dans du sel le soir du Shabbat). La famille des sels est très vaste, mais le plus précieux pour l’homme est le chlorure de sodium, reconnaissable à son goût «salé», notre bon vieux sel de cuisine. Si nous le trouvons au détour de toutes les allées des magasins et que presque tous les pays peuvent localement se doter de sel, ce n’était pas le cas jusqu’au début du 20e siècle. Sa possession a créé des empires, des routes de communication et de commerce; le contrôle de sa production a poussé à des guerres réelles ou symboliques (comme la marche du sel de Gandhi). Mais c’est dans notre corps que se jouent les cartes de son désir. Notre langue, nos sens, crient son besoin. Le sel est essentiel à notre survie, et il ne suffit que de lécher une larme pour le savoir. Il est fondamental pour le bon fonctionnement des organes.
Le corps ne le produit pas, il ne fait que le perdre (transpiration, urine,…). Si on en trouve dans le sang (et ainsi l’homme est carnivore) et dans certaines plantes, il doit l’ingérer. Peut-être par désir de survie, l’être humain aujourd’hui en consomme toutefois une quantité trop grande, ce qui lui nuit. Une petite exposition au Musée d’histoire naturelle de Fribourg se penche d’ailleurs sur cette double nature de la consommation du sel et sur ses conséquences. Minuscule et majestueux petit sel sur notre table! Tel un mot banal qui, trouvant sa place dans une phrase, disparaît dans le texte, le sel, si petit et insignifiant, se dissout pour laisser place à l’œuvre qu’il participe à mettre en valeur, un plat plus profond, une route moins glissante, un tissu plus coloré, un corps plus vivant.
L’exposition temporaire Sel/Salz au Musée d’histoire naturelle de Fribourg. Entrée libre. Jusqu’au 10 juillet 2016.
Article publié dans l‘Echo magazine