Je suis très inquiète, et je pèse mes mots, très inquiète pour cette fête de Noël. Tout autour de moi, j’entends les gens dire que le sens de la fête disparaît comme la neige qu’on ne voit plus, que la démesure est reine et que, dans ce monde qui court à sa perte, l’orgie de cadeaux participe au réchauffement climatique. «Tout fout le camp», disent les anciens. Que dois-je faire de l’enthousiasme qui m’habite? Car je compte les jours avant de donner et de recevoir: chaque année, je descends plus tôt pour imaginer ce qui se cache sous les papiers brillants, mes pieds nus sur le sol pour ne pas réveiller les enfants. Un peu de silence devant l’arbre miroitant et la crèche finalement habitée. J’aime Noël! Devrais-je grandir et perdre cette joie puérile? Le problème est réel. Qui s’est trouvé, par hasard ou par choix, dans un magasin Manor de Suisse romande le jour du black Friday (tout était réduit de 30%) peut témoigner de la fièvre acheteuse sans précédent à laquelle j’ai assisté. Je vois mes enfants perdre leur concentration au troisième cadeau reçu, blasés par l’opulence. Je me suis penchée sur les programmes éducatifs «sevrage cadeau» destinés aux parents dans ce temps de décroissance. Que faire? Ne donner des cadeaux qu’aux enfants (quelle tristesse)? Tirer au sort une personne (et une seule) à qui donner un cadeau et espérer sincèrement ne pas tomber sur l’adorée, mais radine grande sœur? J’ai déjà essayé le cadeau collectif qui frustre les amateurs du don personnalisé. Enfin, une amie me suggère d’envoyer tout l’argent des cadeaux à un projet de microcrédit en Afrique. Idée attirante que j’ai écartée par peur des représailles thérapeutiques de mes enfants à l’âge adulte: «Tu as préféré des personnes souffrantes à tes propres enfants!». Quelques pistes me permettent de résister à la tentation consumériste. Des sites proposent des cadeaux faits localement ou faits main. Je choisis des arcs et des flèches en bois, des binocles d’aventurier de seconde main, des jupes sur mesure et des posters en russe. Autant de possibilités petites mais précieuses développées grâce à la technologie 2.0 (www.etsy.com est maître en ce domaine). Enfin je peux acquérir les présents au-delà de la vague de décembre.
Alors que je regardais mon ami parler des films sur l’IRA, cet été au soleil, j’ai noté dans mon précieux téléphone le nom du film que je lui offrirais le temps venu. Maintenant que j’emballe son cadeau, je retrouve la douceur du vent marin que nous avons partagé et le goût du vin bu ce soir-là. Le sens caché des cadeaux est là: la reconnaissance des liens qui nous unissent et la mémoire de nos rencontres. Je ne bannirai pas les cadeaux, lubrifiant affectif et corollaire efficace du vrai sens de cette grande fête.
Article publié dans l’Echo Magazine