L’adage veut que les chiens et les maîtres aient tendance à se ressembler. Cela m’a sauté aux yeux sur les chemins pédestres de Berlin. Si c’est vrai pour les chiens, c’est encore plus réel pour les jardins. Le mien, devenu un terrain vague automnal derrière la maison, est chaotique, à l’image comme bon nombre de choses de ma vie quotidienne. Il reflète le peu d’importance que je donne aux formes et le choix des plantes rappelle mes priorités. En le voulant, je pense que l’on pourrait reconnaître l’appartenance politique d’une personne rien qu’en regardant son jardin.
A Berlin, Tempelhof s’ouvre immensément devant moi dans l’humidité grise et venteuse de la plaine berlinoise. L’aéroport abandonné par les troupes américaines s’étend sur des kilomètres comme une cicatrice de béton. Sur le côté, un fameux jardin communautaire offre un îlot de résistance. Il faut aller à Berlin pour découvrir que le jardin communal (chacun loue sa parcelle et s’en occupe) s’oppose au jardin communautaire dans lequel le terrain est occupé, réapproprié et partagé. Cette insurrection informelle naît du désir de vivre plus proche de la terre, d’en vivre même au milieu de cette nouvelle Babel industrielle.On trouve à Tempelhof, lieu d’intenses récupérations, des constructions en tous genres dont une très belle baignoire accueillant des fraisiers et des objets insolites comme un bateau pirate, support de jeux d’enfants et de plantes grimpantes. Un panneau en vieux bois annonce alphabeet. Ce jeu de mots entre alpha et betterave rappelle que dans la nature tout est inscrit, comme un alphabet de plantes, et que tout part d’elle (comme de l’alpha, première lettre de l’alphabet grec). Ici les outils et l’espace sont partagés par tous ceux qui désirent y participer, sans aucune compétence préalable. Entre les constructions éphémères envahies de végétation, des bancs originaux évoquent le jardinage comme occasion de contemplation et de fête. On doit boire beaucoup de bière en admirant les herbes folles. Devant les plantes en symbiose, quelque chose me dit que la terre y est très fertile. On est bien loin des lignes régulières du jardinier suisse. Pourtant l’automne est arrivé ici aussi. Les tournesols humides fléchissent, le bois semble pourrir. De vivant et partagé, le jardin est devenu déserté et morne. L’idéal semble s’être enfui à l’arrivée des premiers frimas. Il ne reste que quelques drapeaux anarchistes souvenirs d’une utopie de société autogérée.
J’ai senti un manque à Berlin. Le mélange identitaire de la mégalopole ne m’a renvoyé qu’une image creuse de société qui se cherche. Pourtant, des jardins bourgeois du centre-ville au jardin communautaire de Tempelhof, il n’y a qu’un tout petit pas. Au-delà des clivages politiques et des différences ethniques, Berlin aime ses jardins.A Tempelhof, moi aussi, j’ai pu dire Ich bin ein Berliner