Les journées d’été semblent éternelles de collante chaleur et pourtant dans l’air de l’aube quelque chose a changé. La pénombre de 6 heures est irrévocable: la rentrée scolaire est proche. Je frémis d’anticipation de ce moment unique durant lequel les pendules seront remises à zéro et tout semblera possible. J’attendrai les enfants de retour du premier jour, les frites de fête prêtes sur les assiettes, et je tendrai les bras vers leurs sacs et leur précieux contenu. Les cahiers et les manuels seront en effet le pont entre moi et l’école.
Ça sent le crayon à papier fraîchement taillé et les piles de livres sont devant moi. Fermés, ils attirent mystérieusement vers un contenu qui attend d’être déchiffré. Chacun trace la carte d’un savoir qui tissera sa toile dans l’esprit de mes enfants. Les cahiers sont froids et vierges, affamés d’histoires qui attendent d’être racontées. Je souris en pensant aux cahiers de fin d’année que je viens d’archiver repus et gonflés. Au milieu des fiches horaires que j’essaie de ne pas perdre et des messages vocaux que je m’efforce de retenir, la vérité est platement devant moi: cinq enfants et une moyenne de six livres et cahiers chacun, soit soixante façons d’apprendre et de découvrir. J’ai une fin de semaine pour recouvrir de papier multicolore ces soixante documents reliés. Comment valoriser chacun de ces coffres à trésor et aider les enfants à y voir plus que les lignes qui s’y trouvent? Recouvrir pour mieux protéger, pour valoriser, et donner envie d’ouvrir. Je vais y mettre tout mon talent et ma créativité.
Chaque enfant choisit la couleur de son papier, unie et qu’il pourra décorer. Chaque manuel sera recouvert du même papier décoré d’une belle image issue des cartes postales de nos activités familiales (pérégrinations culturelles ou touristiques) et ensuite plastifié. Un peu de la vie de la maison à l’école, car il y aura beaucoup d’école à la maison. Pour ce rituel, je réunis mon «club des doubleuses de livres» annuel: j’invite mes amies mamans à partager les anticipations et les craintes de l’année qui s’annonce pendant que nos mains s’affairent entre bande collante, ciseaux et estimation toujours plus précise de la quantité de papier nécessaire. Je recouvre les cahiers pour mes enfants, mais aussi pour moi-même et pour les enseignants. Ces cahiers qui passeront entre toutes nos mains et qui feront le lien entre nous sont le rappel d’un droit fondamental, mais aussi du bonheur d’apprendre, chaque graine de savoir donnant de très nombreuses fleurs intimement partagées.
A travers le soin apporté à ces gestes, je reconnais à l’enseignant le respect et la fertilité de sa tâche et à l’enfant la responsabilité face à ce savoir. Enfin, je me souviens combien je compte dans la réussite de cette équation. Il faut un peuple pour éduquer.