Le peuple suisse aime les appareils électroménagers et les équipements en tout genre. Dans les maisons de mes amis, je découvre avec joie et un peu de jalousie leurs robots dernier cri. Certains hachent, broient et cuisent la nourriture, d’autres nettoient le sol de manière autonome. J’ai découvert un appareil qui permet de se laver les dents et la peau par oscillation sonique, une cuillère qui pèse la quantité qu’elle contient et un balai dont les poils sont lavables. Avec un plaisir non dissimulé, j’ai mis sur ma liste de mariage une quantité impressionnante d’équipements censés simplifier ma vie. Cette montagne de câbles, tuyaux, moteurs, manches, manivelles et autres appareils qui promettaient de me libérer de tous mes efforts est souvent reléguée au fond des armoires. Mon appareil à yaourt attend ma passion pour les desserts faits maison en compagnie du dénoyauteur de cerises. Il m’arrive de les dépoussiérer, mais je pense à cet outillage inutile avec une pointe d’amertume pour l’argent dépensé et le désir non comblé. Heureusement, une association s’est constituée pour répondre à la frustration des maîtres trop équipés. Pumpipumpe (c’est son nom) propose un système de prêt: le propriétaire qui adhère au projet affiche sur sa boîte aux lettres les outils et les machines qu’il est disposé à prêter. Les autocollants, que l’on peut commander gratuitement à l’association via son site internet, indiquent, par un dessin facilement identifiable, des objets tels que les guirlandes lumineuses, la pompe à vélo, le wok et la perceuse. Je les colle sur ma boîte aux lettres et la grande aventure commence.
Mes voisins et ceux qui passent fréquemment devant ma boîte aux lettres pourront frapper à ma porte et je verrai finalement qui vit à côté de moi. Un lien se tissera avec celui qui viendra chercher le toaster, la table de jardin ou le broyeur, car je devrai partager avec lui l’intimité de cette machine, son utilisation, ses petits ennuis comme sa difficulté à démarrer quand elle est froide. Enfin et surtout, il partira avec ma confiance, celle de revoir un appareil peu utilisé, mais sûrement très aimé, revenir en bon état. Le projet, né récemment à Berne, a rapidement fait des adeptes jusqu’en France et en Allemagne.
Quel monde, ce 21e siècle! On pensait que les machines seraient la fin de l’homme et de son rapport avec le monde qui l’entoure, qu’elles l’isoleraient dans une puissance dominatrice. Or le fil qui connecte la machine à la prise deviendra peut-être le fil qui nous connectera aux autres, comme un passage de la dépendance à l’interdépendance.
Plus d’infos sur http://www.pumpipumpe.ch
Article publié dans l’magazine