Le comte Antoine Louis de Bougainville (1729-1811) était un homme accompli. Il n’avait que 25 ans quand son père décéda, interrompant ses brillantes études de droit. De nombreux chemins s’offraient à lui ; après tout il avait déjà publié un traité important sur le calcul intégral. Il s’engagea pourtant dans l’armée, partit à la découverte de l’Amérique et y combattit contre les anglais. A 37 ans, le monde ne lui suffisant pas, Il embarqua dans une grande expédition et fut le premier français à faire le tour du monde. Accompagné du naturaliste Philibert Commerson, il découvrit des îles de Polynésie et donna son nom à une célèbre fleur, le bougainvillier. Il finit sa vie chez lui, horticulteur hors-pair, modestement propriétaire de la plus grande collection de roses de France.
Je pense souvent à Bougainville, à sa curiosité insatiable et à ses talents hétéroclites. J’aimerais lui ressembler aujourd’hui, alors que mes amies m’offrent une ravissante fleur en pot, grimpante, rose fuchsia et sans étiquette ; un bougainvillier justement, me dit mon instinct. Si les hommes d’avant avaient des connaissances circulaires comme des puits sans fonds, je n’ai que la culture plate que me donne mon téléphone portable et, entre autre, la nouvelle application pl@nt.net. Cette application née d’un projet scientifique à la frontière entre botanique et communication, offre de grandes promesses : une photo devrait suffire pour qu’elle trouve, dans sa base de données, une ressemblance et indique avec précision le nom de la fleur correspondante. Désormais, plus besoin de connaître, de regarder de près, de partir à la recherche comme un aventurier de l’extrême. Depuis mon fauteuil, je photographie et j’attends. L’application me confirme bougainvillier (bougainvillea). J’ai, depuis, pris goût à cette nouvelle façon de d’appréhender les plantes, photographiant tout et mettant en évidence mon ignorance crasse. L’application, gratuite et de facile utilisation, requiert de s’inscrire avec un mot de passe. Elle est ensuite à l’image d’Internet 2.0, à savoir participative. On en tire les informations dont on a besoin, mais on peut aussi nourrir la plateforme avec les plantes que l’on découvre. Enfin elle se trompe parfois, et nécessite un peu de patience (mauvaises photos peuvent donner mauvais diagnostic).
Doit-on opposer Bougainville à l’homme d’aujourd’hui, digital et limité ? En d’autres termes, est-il impossible de devenir Bougainville ? Il est vrai que l’homme contemporain a perdu, dans l’excessive spécialisation scientifique, la polyvalence des hommes du XVIIIème siècle. Sur la mer domestique de mon quotidien je me sens pourtant une aventurière, et une application 2.0 n’y changera pas grand-chose.
L’application est disponible pour iphone et google play. Plus d’informations sur http://m.plantnet-project.org/