Avec un plaisir indescriptible je pose mes pieds sur le linoleum verdâtre et froid du couloir de la maternité. Ce sont mes premiers pas depuis la naissance de mon bébé. J’avance lentement et les pieds nus me font sentir profondément vivante. Le spectacle du couloir me prend par surprise. Des machines aux tuyaux fantastiques et aux boutons de science-fiction sont parquées sagement en attendant une utilisation mystérieuse. Elles sont avoisinées par des tables à roulettes, sarcophages abandonnés recouverts de vases de fleurs. Les bouquets silencieux et bariolés accompagnent ma déambulation, mémoire de la vie hors de ces murs. La tradition veut que l’on amène des fleurs aux personnes alitées. J’ai toujours ri de cette coutume la trouvant un contre-sens. Après tout, amener des fleurs coupées et donc moribondes à des malades ne pourra que leur rappeler leur propre mortalité, ou alors l’existence d’un monde extérieur pulsant de vie et de lumière. Pourtant, l’existence d’une vraie économie des fleurs coupées me demande une réflexion sur ces jardins éphémères qui colorent le vert pistache des chambres d’hôpital.
Les hôpitaux se dotent souvent de boutiques de fleurs, alors que rares sont ceux qui ont des pharmacies. Ce serait pourtant bien utile. Des codes anciens règlent les achats des gerbes de toute taille et de toutes couleurs que de jolies demoiselles s’empressent de nous vendre. On offre des fleurs rouges aux personnes que l’on aime passionnément, blanches pour symboliser la virginité et la pureté. Les fleurs jaunes sont données à des amis, et symbolisent la joie et la vie. Enfin des fleurs roses sont données en gage de tendresse. Bien que les traditions se perdent, qui ne connait pas ces codes risquerait un sacré faux-pas. Le bouquet de roses rouges offert à une belle-mère hospitalisée pour une rupture du col du fémur sera-t-il bien accueilli ? Les bouquets se diversifient. On y trouve aujourd’hui des fils de raphia, des plantes en tout genre (j’ai pu y trouver des fruits, des cactus et autres plantes originales) et même des sachets d’eau remplaçant les vases, limitant ainsi les gestes à faire pour garder le bouquet pimpant. Car un bouquet doit être entretenu pour ne pas ressembler à un cadavre marron dans de l’eau vaseuse -mes fleurs finissent souvent ainsi- : couper les tiges, changer l’eau, et y mettre le petit sucre en sachet qui augmente la longévité de floraison. Donner des fleurs est donc faire un cadeau périlleux tant pour le choix que pour le travail nécessaire par la suite.
Doit-on donc se contenter des éternelles boites de chocolat ? Il me semble qu’une alternative persiste : offrir des fleurs des champs, ou de son propre jardin. Ainsi, à la beauté éphémère de la fleur coupée sera associé le geste patient de celui qui l’a cherchée et cueillie. Alors seulement offrir un bouquet de fleurs prendra tout son sens.