C’était la nuit : en mon sein toutes les plantes travaillaient au grand concert de la renaissance. Alors que je m’attelais à ma tâche nocturne et printanière d’accorder toutes les fleurs et de « booster » les arbres pour que la sève remonte, des humains sont apparus. Dans la lumière de l’aube ils marchaient titubants de sommeil, en pyjama, équipés de leur lampe frontale. « Vous êtes déjà là toute la journée, ne pouvez-vous pas me laisser tranquille ? » Pensais-je. Puis je me suis souvenu : la nuit de Pâques était à nouveau là et moi, jardin, j’étais la merveilleuse et traditionnelle cachette des œufs.
Dans le passé, on peignait des œufs de poule, symbole simple de la naissance, en les cuisant dans un bain de pelures d’oignon et en les décorant au pochoir. Mes vieilles amies les cloches, de retour de Rome, s’occupaient de les escamoter et la chasse aux œufs était pour tous, riches et pauvres. Le jour de la résurrection, les humains se gavaient d’œufs rosés et cuits durs, fracassant dans un bruit terrifiant les coquilles contre leurs crânes heureux : le carême était fini ! Depuis, j’ai vu les saisons se succéder, les outils se moderniser, et mes parterres changer de décoration. Mes amies les cloches ne s’arrêtent plus et les parents endormis se plient à l’étonnant esclavage nocturne. Les bras de mes nouveaux locataires étaient chargés des paquets colorés ou translucides de lapins en chocolat blanc et brun, d’œufs bariolés et peints les semaines précédentes, ainsi que de milliers de petites boules en chocolat recouvertes de papier aluminium brillantes dans l’aube nouvelle. Je les ai vus murmurer des conciliabules et définir le périmètre de recherche, inventer des cachettes trop simples (œuf rouge au milieu des crocus ?) ou trop compliquées (dans la souche haute de plus d’un mètre ?) et, enfin satisfaits retourner se coucher. Deux heures n’avaient pas passé que je revoyais les mêmes parents trainés en petite tenue par leurs enfants, en bottes de caoutchouc, armés de seaux, paniers ou contenants de tous types. Si les adultes semblaient ne plus se souvenir des lieux choisis avec fierté quelques instants plus tôt, les petits, eux, animés par l’appât du gain, n’avaient aucune limite : course, tricherie, vol, dépassement des limites physiques (« il a réussi à grimper à plus d’un mètre ? »).
Sous la pluie ou dans la pénombre de l’heure d’été, ce rituel ne dure chaque année que dix minutes, réveillant les voisins et suscitant dans les parents, otages mais complices, un désir infini de café. Il laisse pourtant des traces durables, sur l’estomac des enfants et les réserves de chocolat dans les caves. Quant à moi, jardin, je passe des mois à digérer les cadavres oubliés dans les cachettes les plus impensables. Non, l’alu n’est ni biodégradable ni fertilisant pour la terre !