Mon petit voisin arrive chez moi essoufflé tous les matins. Il a traversé mon jardin pentu et vient chercher mes enfants pour aller avec eux à l’école. Amenant à ma porte les saisons qui passent, il me présente tantôt les branches odorantes de menthe verte, les noix qui craquent sous ses pieds, des framboises écrasées par son enthousiasme et aujourd’hui des vestiges de crocus bleu violet. Il ouvre sa paume accueillante et laisse apparaître les fleurs froissées et minuscules. Crocus ; petite tache dans mon herbe fluorescente, tu es le signe du printemps.
Je pense au mystère de ta venue. Dans la terre, depuis des mois, bien au chaud, tu te prépares. Comme un enfant dans le ventre de ta mère, tu trouves la force dans le milieu qui t’entoure. Tu ne reçois pas de lumière directe, mais la chaleur du milieu qui t’embrasse. La terre, mère aimante, te donne la nourriture tel un placenta géant qui épouse ta forme. Comme l’horloge mystérieuse qui rend les enfants capables de savoir que neuf mois sont passés, crocus, tu sais que mars approche. Tu concentres ton énergie dans la lutte contre le milieu hostile de la saison débutante et sors de ton antre. Quand on t’aperçoit, tu as déjà fait un grand bout de chemin. Tu dépasses la surface de quelques centimètres et au premier rayon de soleil tiède, déplies tes pétales à forme d’étoile, bleue, jaune ou blanche. Sans pouvoir l’expliquer, je sais que si tu n’es pas plus haut et plus grand, comme toutes ces petites fleurs de printemps, c’est que ton combat a été de naître. Ta tige mesure quelques millimètres, dépigmentée et molle mais toutefois pleine de vie, comme un nouveau-né.
SI j’ai reçu mes crocus en héritant de mon grand jardin, étonnée le premier printemps du nuage tantôt parme, tantôt azuré qui rendait vivant le dessous du noyer, il est possible de planifier la naissance du crocus. Cette fleur fluette provient d’un petit oignon (un bulbe) qu’il faut planter en automne. Le bulbe, de quelques centimètres, doit être inséré dans la terre légère à une profondeur de 3 à 5 centimètres (une phalange de doigt pour les approximatifs). Il faudrait, pour « réussir » cette plantation, l’exposer correctement (soleil/mi ombre) et le protéger contre les rongeurs amateurs de bulbes (campagnols et souris). Les bulbes se multiplient ensuite comme une positivité fertile. Pourtant, comme pour toute naissance, elle nous étonne en apparaissant dans les milieux, même plus hostiles.
Le crocus parle de l’enfant que je porte, de la terre parfois hostile que je peux être et du milieu ensoleillé, accueillant et bruyant d’enfants qui l’entoureront. Comme dans la paume de mon petit voisin il sera précieux et aimé, mais aussi secoué et blessé, projeté dans la vie malgré lui. Il affirmera toutefois la positivité d’une fertilité qui le dépasse et l’anime. Le reste est dans ses mains.
Quel article, quelle poésie! Qu’il est doux de vous lire Madame