versailles (avec dans le sous-fond statue de Jeff Koons)
Pour comprendre les jardins à la française, il faut attendre que le monde soit recouvert de neige. Les formes s’atténuent dans les jardins et seules persistent les lignes dures des allées. Les couleurs, les miroirs des fontaines disparaissent pour ne laisser place qu’à un monde minéral et monochrome. Il est alors possible d’entrer dans la fascinante perspective des peintres de la renaissance. Un homme a porté en lui l’unité de l’art pictural, l’incarnant dans la réalité de la topographie des terrains, transformant les jardins et érigeant le jardinage en forme d’art. Il s’agit d’André le Nôtre (1613-1700), dont la France vient de fêter le jubilée.
Le jardin du Moyen-Age était petit et clôturé, et les forêts des lieux malveillants pleins de brigands. Le Nôtre, fils et petit-fils de jardiniers, voyait le monde sans peur. Dans les nouvelles échelles du grand siècle (Le jardin de Versailles, sa plus grande œuvre, mesure 6000 hectares), il abattit les murs et transforma les forêts en lieux paisibles. Fasciné par le progrès, il intégra à sa formation artistique auprès de grands peintres, de solides connaissances d’hydraulique et d’optique. Le ciel, la terre, les collines, les rochers, faisaient parties d’une unité à dominer pour pousser l’œil à regarder l’horizon, point où tout devient infini. Ainsi il façonna le terrain subtilement pour créer des illusions d’optique; espaces progressivement plus grands pour contrebalancer la perspective, vues plongeantes, paysages surprises cachés et subtilement révélés par des escaliers. On peut dire qu’il inventa le métier de paysagiste, capable d’unifier la conception des murs, de la terre, de l’eau et l’architecture visuelle du tout.
Le jardin à la française n’est pas un jardin de petites fleurs. De bleu (ciel et eau) et de vert (sombre et clair), il est composé de topiaires (arbustes taillés en formes originales, comme le cône), de broderies de buis (parterre formés de buissons taillés en forme linéaires et originales), de bosquets et de grandes allées d’herbe. L’homme, en effet, amène à lui seul le chaos et la couleur nécessaires à animer ce cadre architecturé. Le Nôtre a imaginé des rapports entre habitation et nature codifiés (de l’habitation rigide, aux parterres qui l’entourent « semi-rigides » et minéraux, aux espaces verts structurés pour finir par des allées d’arbres et enfin, de réelles forêts).
Bien qu’aucun paysagiste n’avoue une filiation directe à le Nôtre, ses grandes idées nourrissent l’imaginaire de tous. On retrouve ses codes dans le Mémorial du 11 Septembre. Son paysagiste Peter Walker a justement admis avoir retrouvé en le Nôtre un avant-gout du minimalisme moderne. Je le comprends quand je regarde Versailles sous la neige.
Pour approfondir:
le film « A little Chaos » de Alan Rickman avec Kate Winslet sortie prévue 2015.
L’expo interactiveb « le Notre en perspective » pour fêter son jubilée17