Merveilleuse rondeur naturelle, joyeuse et distinguée multitude de petites baies vitreuses et de feuilles
en forme de noeuds, le gui est une plante de grande distinction. Il orne traditionnellement le seuil de nos maisons. Sa position suspendue dans le vide lui donne un air de grappe que l’on aime orner d’un ruban de couleur. D’année en année, nous disons: «au gui l’an neuf», désireux de nous embrasser sous une plante symbole de bonheur, de prospérité et de longue vie.
Le gui est pourtant un vampire de la pire sorte. Les botanistes, polis, le disent «hémiparasite». Il colonise des arbres pour en sucer la sève, mais laisse son hôte capable de survivre puisqu’il n’en soutire que support et nourriture. Les ravissantes petites baies vitreuses sont en réalité les sentinelles de la colonisation. Grâce à leur consistance collante et leur noyau dur, elles sont transportées par la fiente des oiseaux ou le vent, se posent au
gré du hasard sur des branches d’arbres- hôtes et s’engluent. La graine devient dard, qui perce l’écorce de l’être
paisible et accueillant. Le dard devient suçoir et la plante croît, colonisant les arbres du haut vers le bas.
C’est dans l’hiver dénudé que l’on voit les arbres vérolés de boules de gui. Squelettes hibernants, porteurs d’étonnantes protubérances, ils laissent voir ces méduses aériennes prenant possession de leur anatomie. La sagesse de notre terre permet toutefois que nous ne soyons pas envahis de gui: seuls, en effet, certains oiseaux le transportent (la fauvette raffole du gui). De plus, il semblerait que seules certaines espèces d’arbres soient guitées ». Il colonise par exemple le pin et pommier, mais ne s’attaque pas au chêne. Enfin, on estime que sur les 35’000 baies qu’un gui peut produire dans sa vie en moyenne, seules cinq ou six donneront une nouvelle plante. L’histoire dit que le gui était cérémonieusement cueilli par les druides, prêtres et médecins des temps anciens. Ces sages connaissaient les propriétés phytothérapeutiques de cette plante qui soigne les abcès et l’épilepsie, mais peut s’avérer abortive et même mortelle. Pour les Celtes, elle était capable de tout tant sa forme parfaite, sa verte longévité et son aspect aérien et détaché de la terre appelaient des esprits à la vie.
L’ambivalence extrême de cette plante me questionne sur le rite du baiser de fin d’année. A l’orée de l’année nouvelle, je suis pourtant ambivalente comme Ulysse. Désireuse de vivre des aventures,de dépasser les frontières, je suis engluée dans les limites de mes séductions quotidiennes. Si Ulysse a quitté la caverne de Calypso pour rejoindre son aimée Pénélope, je désire moi-même prendre mon envol de graine du gui pour m’attacher enfin à l’Esprit qui peut tout.