Comme Obélix, j’ai pensé: «Par Toutatis, ils sont fous, ces Romains! ». J’étais en train de regarder mon frère manger des tripes à la romaine dans une rue de Rome. Nous étions venus, avec 300’000 autres, passer la Pentecôte dans la capitale italienne à l’invitation du pape, pour une rencontre des différents mouvements de l’Eglise catholique.
Rome est la ville de tous les superlatifs. Sur les vestiges de l’Empire romain, on peut admirer les restes de la ville du Moyen-Âge et de la ville baroque. Les monuments se mélangent et se fondent confusément dans le regard. Il en va de même pour la nourriture, chargée et huileuse, la chaleur humaine débordante et la flore, luxuriante et dominatrice. Devant ce spectacle, j’ai pensé à Adam et Eve se réveillant dans le jardin d’Eden. Le Créateur ne devait pas connaître le less is more (la sobriété est du meilleur goût), mais bien more is more (plus il y en a, mieux c’est). Partout, les plantes colorées pénètrent les monuments et les entourent comme des écrins.
En vérité, les plantes romaines ne sont que des plantes méditerranéennes. Deux grandes caractéristiques les distinguent en cette saison: la prédominance du vert foncé et l’odeur puissante des fleurs. En effet, le climat méditerranéen est composé d’un hiver court, de demi-saisons humides et d’un été long et sec. Les plantes capables de surmonter un tel climat pendant de si longs mois sont souvent grasses à dominante foncée (comme le laurier) ou des conifères (les pins parasols et les cyprès). Ce sont donc elles, en plus des cactus, qui poussent entre les vieilles pierres de la Ville éternelle. Et l’absence de pluie permet le développement des odeurs douces du jasmin, du chèvrefeuille et de l’oranger (pour n’en citer que quelques-uns). Je n’avais jamais saisi l’importance des odeurs avant le choc de mon arrivée en terre italienne, après que notre printemps a lavé toute trace olfactive autre que subtilement volatile.
Je ne suis pourtant pas dupe. Rome est sale, pauvre, en décomposition. Les murs se lézardent, la mendicité se développe. La crise frappe l’Italie comme une gifle dont je ne suis que le témoin. Et cette nature, arrogante de positivé, grimpe et recouvre tout. Elle pourrait être vue comme un cache-misère. Ou un clin d’oeil: on donne peu de crédit aux Gaulois dans les Astérix de Goscinny, mais ils sont toujours victorieux contre l’Empire romain tout entier! La gratuité de la beauté de la nature comble les interstices et recolle les morceaux des façades, elle résiste à la pollution et au temps. Si une plante est capable de pousser à travers le goudron d’un trottoir, tout est possible.
article publié dans l’Echo Magazine (mai 2013)
jasmin odorant dans les rues de Rome, en fleur au mois de mai. Chez nous il faudra encore bien un mois.
le long des maisons, cyprès et palmes se mélangent au jaune des façades
étonnante plante grasse au bord d’un bassin dans un monastère.