Je regarde mon potager, hume la terre qui pulse de vie sous l’effet du premier soleil et découvre un petit insecte sur ma chaussure. C’est le printemps, et je me sens comme le grand architecte et urbaniste Oscar Niemeyer (1907-2012) devant les chantiers de sa capitale, la future Brasilia.
En effet, si des règles très strictes dictent la construction d’une ville, il y en a tout autant pour l’arrangement des carreaux d’un potager, ces lopins dédiés à un légume ou fruit. Quelle savante distance pour les chemins entre les carreaux? Quelle disposition et, surtout, quel contenu pour chaque carreau?
Comme l’architecte, je scrute le ciel à la recherche du soleil. Le jeu des ombres et des lumières est crucial, car les plantes ne demandent pas toutes la même chose. Certaines aiment le soleil direct, comme la tomate, d’autres aiment l’ombre et l’humidité, comme la menthe. Pour satisfaire les besoins de tout le monde, j’imagine les constructions qui leurs seront nécessaires pour grandir harmonieusement. Si le haricot à perches (c’est-à-dire grimpant) demande des tuteurs qui s’élancent vers le ciel et donc cachent le carreau attenant, la courgette est vorace d’espace horizontal, comme la courge qui recouvre tout le sol. Mes habitants peuvent être aussi de bons et de mauvais voisins (on en reparlera). Que ferait le grand Niemeyer si ses habitants avaient la possibilité de se tuer les uns les autres, comme la dangereuse absinthe est destructrice de tomates et de fenouil? Le plus souvent, pourtant, l’architecte valorise plutôt la mixité – il aime notamment mettre des lignes de fleurs à côté des légumes – et instaure même la célèbre rotation des locataires puisqu’il est crucial de ne pas mettre deux années de suite les mêmes plantes au même endroit afin d’éviter l’appauvrissement du sol. Quant aux chemins, l’équilibre entre la taille de ma population, mon confort (pour que j’accède à chaque plant) et la surface donnée dictera leur largeur. Bref, que d’exigences à conjuguer avant même de commencer à se salir les mains!
En architecture, la beauté et l’utilité font la paire. Selon moi, il en va de même au potager. Mes sens seront réveillés par les lignes et les courbes des plantes et de leurs supports. Oscar Niemeyer s’est d’ailleurs inspiré de l’harmonie de la nature pour ses plus grandes oeuvres comme la cathédrale de Brasilia ou le siège des Nations Unies de New York. Je savoure cette phase de projet, sachant combien sera éphémère son résultat. S’il a fallu 1000 jours entre la pose de la première pierre et l’inauguration de Brasilia, seuls 150 jours me séparent de l’automne et du moment où je devrai détruire en grande partie mon potager.
Article publié dans l’Echo Magazine
Œuvres de Oscar Niemeyer