Il est grand comme une armoire à glace, avec des mains en proportion. Mais ce grand corps sait s’occuper des petites fleurs. Mon ami Claude est jardinier de la ville de Fribourg, et son travail est de la rendre plus belle encore.
Il occupe ce poste depuis presque trente ans – c’était son premier travail après un apprentissage de floriculteur –, mais il est tombé dans la marmite quand il était petit: après tant de saisons rudes et changeantes, d’oeuvres détruites par la météo capricieuse ou par les gens irrespectueux («les actes de vandalisme sont toujours plus nombreux, hélas»), Claude s’enthousiasme toujours. Il aime les changements qui lui font redécouvrir la nature: au printemps, il faut planter pour reconstruire les décorations qui traverseront la belle saison; en été, il faut arroser et entretenir, tondre le gazon et limiter les dégâts en cas de canicule; en automne, changer de fleurs et préparer la saison froide; et en hiver, couper et tailler les arbres et arbustes qui bordent les chemins.
Je pensais que la ville avait peu d’espaces verts. Désormais je les regarde mieux et je découvre qu’ils sont nombreux. Il ne faut pas moins de quatre équipes de quatre personnes (sans compter les bûcherons, les jardiniers dans les serres etc.) pour faire ce travail. Chaque jour, quelle que soit la météo, ils travaillent dans le secteur qui leur est attribué. Ils ont une certaine autonomie quant au choix des plantes et la responsabilité de leur survie. Claude travaille dans l’équipe du centre-ville, responsable de la décoration des monuments historiques.
Il y a aussi les aspects de son travail que le citoyen ignore. Qui connaît les serres où poussent presque toutes les plantes de la ville? Situées derrière le cimetière Saint-Léonard, pas loin de la patinoire où joue Gottéron, elles produisent chaque année 100’000 plants de bégonias et autant de pensées, sans compter les plantes spéciales et plus rares qu’on trouve dans les massifs (y compris des légumes, comme des choux fleurs!). Claude, qui continue à apprendre et à se laisser inspirer par les jardins visités lors de ses voyages, me parle de la grande culture du dessin de jardin public en Suisse et de l’importance qu’ont chez nous les pensées (viola). Ces petites fleurs fluettes mais résistantes au gel dessinent au ras du sol des formes géométriques, des écrits, des taches de couleur. Des heures durant, Claude, reconnaissable à ses habits orange, travaille à genoux, comme un artiste crée une mosaïque pour nous donner une image vibrante de couleurs. Je lui demande si ce travail n’est pas trop dur. Il me répond, et ses yeux pétillent: «Hé oui, ma petite, la terre est basse!».