J’aime à croire que la jeune Hortense était une femme de caractère, difficile à ignorer. Lorsque l’explorateur Philibert Commerson débarqua en 1768 sur les côtes de Chine, portant le deuil de la fille d’un ami très cher qu’il avait vue grandir et devenir femme, il découvrit une fleur extraordinaire et la nomma comme elle, l’«hortense à grandes fleurs» ou Hortensia Macrophylia. Ce n’était alors qu’un cultivar, une fleur ne poussant dans un lieu précis. Elle habite désormais dans tous nos jardins, imposante comme une reine. Chaque printemps, je la contemple, me préparant à lui donner ses lettres de noblesse. Car comme les jardiniers (et les coiffeurs) le savent, tout est dans la coupe. Pour une plante, c’est elle qui détermine la quantité de fleurs.
Deux grandes familles de jardiniers se disputent la meilleure coupe des hortensias. On peut laisser Hortense grandir, devenir immense et ployer sous des fleurs gigantesques au risque que ses branches cassent ou la contenir au maximum pour lui donner une forme dense et harmonieuse. Dois-je donc la tailler au minimum, comme le barbier italien taillait au ciseau le dégradé de mon père, ou dois-je la raser comme un soldat américain?
J’ai opté cette année pour le barbier, au grand dam de ma tante qui regarde mes plantes chaque année avec le même air dubitatif, me rappelant le risque de cassure sous le poids des fleurs. Pourtant, mon bien-aimé sécateur (qui n’a plus aucun secret pour vous) et moi-même observons soigneusement la règle de cette coupe: «L’hortensia donne des fleurs sur le bois de l’année précédente». Ses tiges sont en effet d’abord lisses et ravissantes, puis elles se transforment comme le corps d’une femme, s’écaillent et deviennent plus rugueuses au fil des années. Derrière chaque bouton de ces tiges rugueuses se cache pourtant la possibilité d’une fleur monumentale. Et comme un coiffeur de qualité, il faut contempler chaque branche et ne couper que celles qui n’ont plus de bourgeons et ne donneront plus de fleurs. En outre, il faut couper chaque branche au-dessus du plus haut bourgeon pour qu’aucune tige disgracieuse ne dépasse du buisson qui fleurit l’été.
J’ai donc choisi de coiffer une Hortense qui aurait eu le temps de vieillir plutôt que d’être arrêtée dans une jeunesse éternelle; de montrer sous son meilleur jour le bois mûr des années qui passent. Le travail est lent, fastidieux, mais rendu palpitant par l’anticipation de la cascade de fleurs futures. Car Hortense «le vaut bien», comme le dit la pub de L’Oréal. Elle m’est fidèle, présente au rendez-vous lorsque le soleil est au zénith, car les belles femmes sont fidèles à leur coiffeur.
Article publié dans l’Echo Magazine