L’année de mes 14 ans, je vivais avec ma famille en Afrique et ma mère avait entrepris un voyage dans le désert du Kalahari seule avec ses enfants. Je me souviens très clairement du moment où nous avons crevé, à des milliers de kilomètres, me semblait-il, de la première âme qui vive. Je vois encore ma mère sortir du minibus d’un air paisible, chercher le cric et changer la roue alors qu’il se mettait à pleuvoir (si, si, dans le désert!). Tout est possible à celui qui y met un peu de bonne volonté et d’esprit d’aventure. Lorsque mon ami jardinier m’a dit qu’il fallait que j’entretienne mon panique devant une tâche inconnue, je suis allée sur youtube et bien m’en a pris: le site de Terre et nature proposait justement une vidéo exhaustive et rassurante sur l’entretien du sécateur. Pensant à ma mère sous la pluie du Kalahari, j’ai commencé à démonter mon outil. Ce n’était pas une mince affaire tant il était rouillé. Tout sécateur est composé de deux lames, deux manches, trois boulons standard et un boulon «à dents» qui est fixé sur son axe central. Des petites pièces très alarmantes une fois démontées (en pensant au remontage) relient les deux bras de l’appareil qui sont séparés par un ressort.
L’opération consiste à éliminer à l’aide d’une brosse la rouille qui se forme sur le sécateur au contact des plantes: les sucs et les sèves se déposent sur les lames et oxydent le métal. Il faut ensuite nettoyer les pièces avec du papier ménage et une huile spéciale, appelée «graisseur», disponible dans tous les rayons jardin des supermarchés. Enfin il faut aiguiser la lame épaisse. La vidéo proposait d’utiliser une pierre spéciale que je n’avais pas, mais l’aiguiseur des couteaux de cuisine a très bien fait l’affaire. Enfin, il faut remonter l’appareil comme les soldats remontent leur fusil dans les films, ce que j’ai fait avec davantage de sueur et d’hésitations jusqu’à l’action la plus gratifiante du jour: imbriquer le ressort; le tour était joué.
Ce n’est pas une opération impossible, je peux en témoigner. Le temps nécessaire est moins long que pour un puzzle de 1000 pièces, justement parce qu’il y en a moins. Un peu inquiétant quand on l’a en main, le sécateur semble bien inoffensif une fois démonté et si beau quand il est remonté. Seule dans ma cuisine, je l’admirais avec l’âme d’un horloger suisse et les mains d’un mécanicien sur camions
Article publié dans l‘Echo Magazine