Un mystère régnait sur le couteau dans le sac à main de ma grandmère. Peu bavarde, elle marmonnait dans son dialecte tessinois en l’extirpant à de nombreuses occasions. Je la voyais se pencher sur les plantes des jardins publics et en tailler des bouts. Mon esprit d’enfant sentait qu’il y avait là un peu de vol, mais toute question était effacée par son regard triomphant. Il fallait courir dans un bar, demander les toilettes et emballer
la plante coupée dans du papier mouillé.
Comme les gestes vus et revus mettent ensemble les pièces du puzzle, en bouturant mon premier hortensia
(la plante préférée de ma grand-mère) je me suis émue en sentant la même victoire. Le bouturage, ou clonage végétal, est un grand moment de création. Les jardiniers, voyant que les plantes avaient le don de se multiplier sans pollinisation mais par simple multiplication, ont approfondi ces techniques. Le bouturage est le plus populaire de ces clonages. Le but du processus est, bien sûr, la multiplication d’une plante particulièrement
belle ou forte. En outre, faire naître une plante d’une semence est lent et très difficile. Le principe du bouturage, lui, est simple: on met en terre une tige de la plante aimée et on attend qu’elle prenne racine. Ce processus, que ma grand-mère appliquait en cachette, est cependant digne d’un chirurgien. Le matériel de coupe doit être soigneusement désinfecté et la tige sectionnée de manière précise. Il faut ensuite aider la tige amputée à repousser dans son nouveau milieu. Comme la blessure qui ne peut être soignée qu’avec le désinfectant
approprié, les jardiniers appliquent sur la blessure une hormone de croissance. Nous avons vu, il y a deux
semaines, que le jus provenant de la macération du saule peut faire l’affaire. On met ensuite le morceau blessé
et soigné dans le milieu approprié à la repousse. Le bandage laisse l’air circuler en tenant le membre blessé
bien en place; de même, le terreau de la bouture doit être humide, solide mais bien friable pour favoriser les
nouvelles racines. On conseille souvent un mélange de terre de jardin et de sable. Enfin, il faut mettre le patient en isolement dans une chambre qui favorise la reprise: un sac plastique ou une bouteille sectionnée et retournée sur le pot de fleur fera l’affaire. La durée du processus dépend du patient;
un hortensia pourra être bouturé en quelques semaines.
Alors que nous emmenions ma grand-mère en visite aux Etats-Unis, le détecteu de métaux de la Maison-Blanche sonna et elle subit une fouille approfondie. La police trouva le petit couteau dans son sac et le confisqua sous nos regards consternés. Jusqu’à sa mort, elle ne cessa de grommeler qu’on lui avait volé un bien précieux.