La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb est pour moi une des plus grandes aventures de notre histoire. Dans le fracas discret d’un pas sur une plage inconnue, des hommes assoiffés de vérité ont chamboulé l’équilibre du monde, découvert des peuples, de l’or, et l’humble pomme de terre.Il n’a l’air de rien, ce petit tubercule; petit, foncé et noueux. Est-on vraiment conscient, quand on le met en terre, qu’il a chamboulé l’ordre de nations entières?
Au printemps, on regarde nos pommes de terre germer: des petits bouts verts apparaissent sur le côté, délicats
et porteurs de grand futur. Le tubercule «mère» se flétrit, c’est le moment de planter. Dans une terre «riche et
légère» (donc bien aérée), en sillons bien ordonnés, très espacés, on met les pommes de terre dans le sol. Puis
on attend de voir une jolie plante sortir de terre. Elle nous indique qu’un miracle Tels les tentacules d’une pieuvre, les germes de la pomme de terre «mère» s’étalent dans le sol pour faire naitre de nombreuses autres petites pommes. C’est là que le travail de patience commence: on recouvre le plant de terre en faisant des monticules. On appelle cela «butter». Ce geste permet à l’eau de ne pas rester sur la plante, mais de glisser sur les côtés. Fondamental, il permet aussi à la pomme de terre de rester à l’abri du soleil. A son contact, elle risque de devenir verte et donc immensément toxique.En effet, la culture de la pomme de terre est une culture de la tempérance. Cette plante a besoin de soleil, mais grandit dans l’ombre. Elle a besoin d’eau, mais tombe gravement malade dans l’humidité (un champignon appelé mildiou la décime). Le moment que je préfère arrive à la fin de l’été, quand la plante se flétrit et que, délicatement, on enfonce une griffe dans le sol pour laisser apparaître les tubercules liés les uns aux autres. Comme au moment de la naissance on assiste, fasciné, à la richesse de cette multiplications de petites boules toutes différentes. Tout ceci a l’air si idyllique que des pays entiers désireux de résoudre leurs problèmes alimentaires, charmés devant l’apport nutritif complet offert par le tubercule miracle, l’ont planté à outrance.
C’est le cas de l’Irlande, qui en était grandement dépendante au début du 19e siècle. Le mildiou qui frappa les cultures entre 1845 et 1852 amena à la grande famine irlandaise qui vit mourir un million de personnes et déclencha la grande migration des Irlandais, principalement en Amérique. En cinq ans,la population irlandaise avait diminué de 25%. L’histoire, presque ironique, veut que, telle la pomme de terre qui meurt en terre, le peuple irlandais décimé s’enracine et se multiplie justement sur le continent d’où tout était parti, y amenant avec lui la fertilité de la foi catholique.